Deux thèses s’affrontent à propos des déclarations d’Emmanuel Macron, lundi 26 février à Paris, sur le possible envoi, à l’avenir, de soldats européens sur le sol ukrainien.
La première, qui insiste sur «l’absence de consensus» mentionnée par le président français au sortir de la conférence internationale de soutien à l’Ukraine organisée à l’Élysée, considère que Macron est à l’avant-garde d’une mobilisation européenne qui s’avérera un jour indispensable pour faire face à la Russie de Vladimir Poutine. En résumé: ce Chef de l’État «disrupteur» est le seul à faire preuve d’audace. Et à tirer les conséquences de la paralysie politique actuelle des États-Unis, où les élus pro-Trump de la Chambre des représentants bloquent toujours l’enveloppe de 60 milliards de dollars d’aide tant attendue par Kiev. Mieux: Macron a, pour les partisans de cette thèse, le mérite de ne pas détourner le regard, à la manière de ce que firent les Européens dans les années trente face à Hitler. Évoquer l’envoi hypothétique de troupes au sol, c’est accepter que la défense de l’Europe exigera peut-être, demain, de s’opposer directement à la Russie.
La seconde thèse est celle de la crédibilité politique et diplomatique. Vu sous cet angle, Emmanuel Macron apparaît au mieux comme un président imprudent, et au pire comme un dirigeant isolé, qui joue aussi au chef de guerre à des fins de politique intérieure, pour mieux diaboliser le Rassemblement national et la France Insoumise (défaitistes et pro-Poutine selon lui) en pleine campagne pour les élections européennes du 9 juin. Le problème, pour le locataire de l’Élysée, est malheureusement que cette thèse s’appuie depuis lundi sur un fait indéniable: à savoir le refus de tous les pays de l’Union européenne de cautionner cette surenchère. L’idée de soldats européens en nombre sur le sol ukrainien (au-delà des actuelles forces spéciales sans doute déjà présentes), quelle que soit leur mission, a été rejetée dans les heures qui suivent. Ce n’est plus un «manque de consensus». Cela ressemble à une débâcle.
Un seul mot: l’efficacité
Qu’en penser vu de Suisse, ce pays dont la neutralité et l’histoire durant la Seconde Guerre mondiale exacerbent toujours les critiques lorsque la sécurité de l’Europe est en jeu? La réponse tient en un mot: efficacité. Est-il efficace d’évoquer ce sujet d’une possible intervention terrestre sans qu’aucun allié ne soit prêt à la cautionner? Est-il efficace de donner ainsi au Kremlin l’occasion de vilipender les provocations d’Emmanuel Macron, alors que ce dernier tenta jusqu’au bout de ménager Vladimir Poutine, en lui téléphonant trois fois après l’assaut russe du 24 février 2022? Est-il efficace de laisser croire aux Ukrainiens, alors que leur solidité sur le front s’érode faute de livraisons européennes suffisantes d’obus et de matériel, que des soldats viendront demain les secourir?
Poutine et les rapports de force
La réponse à cette question est non. Maître en rapports de force, Vladimir Poutine ne comprend que les menaces concrètes. Lui signifier que l’Europe est prête à l’affronter par tous les moyens en Ukraine ne peut fonctionner que si l’économie du continent, la nature des sanctions contre la Russie, et le débat démocratique sont à l’unisson de ce mot d’ordre.
L’industrie de défense doit alors devenir une priorité absolue. La saisie des avoirs russes doit remplacer le gel. Les partis les plus indulgents vis-à-vis du Kremlin doivent être battus dans les urnes. L’Amérique n’était pas prête moralement, économiquement, politiquement et sur le plan militaire en 1940. Elle s’est préparée après Pearl Harbor en décembre 1941. Jusqu’au débarquement de Normandie du 6 juin 1944 dont les 80 ans seront bientôt commémorés sur le sol français.
En sommes-nous là? Non. En sommes-nous capables? Pas sûr. Les États-Unis et l’OTAN sont-ils sur la même longueur d’onde? Pas pour le moment. Les pays du Sud, partenaires commerciaux essentiels pour l’Europe, voient-ils le monde de la même manière? Certainement pas.
Emmanuel Macron s’est peut-être montré visionnaire lundi. Mais pour ce qui est de convaincre ses alliés et de démontrer l’urgence absolue de la menace russe hors de l’Ukraine, tout reste à faire. Aussi audacieux soit-il, le président «disrupteur» est encore loin, très loin, d’être accepté comme commandant en chef.