Certaines promesses sont pires que les refus. Celle qu’Emmanuel Macron a presque faite, lundi 26 février à l’issue de la conférence de soutien à l’Ukraine organisée à Paris, porte en elle plus de dangers que d’espoir. Danger de pousser la Russie à accroître sa pression militaire sur le front ukrainien avant l’envoi éventuel de renforts européens au sol. Danger de voir le gouvernement ukrainien chercher encore plus à imposer cette intervention militaire directe à ses alliés. Danger, aussi, de négliger l’autre plan crucial pour la résistance d’un pays: la capacité de l’État à tenir, et la nécessité de redémarrer l’économie.
Attention, dangers? Oui. Surtout si cette hypothèse de renforts européens devait s’enliser, et pourrir l’atmosphère.
Un danger militaire
Le premier danger est militaire. C’est paradoxal. Pour l’Ukraine en guerre, l’évocation de possibles renforts venus de pays dont les armées sont modernes et bien équipées est en théorie une bonne nouvelle. Sauf que ce n’est toujours pas de cela dont on parle, puisque l’OTAN et ses 32 pays membres (la Suède vient enfin d’obtenir lundi l’aval du Parlement hongrois) jurent ne pas vouloir faire la guerre à la Russie.
Alors? S’il s’agit de constituer des «brigades internationales» pour l’Ukraine, la réponse ne sera pas satisfaisante. Celles-ci devront être organisées, équipées, commandées, ... en dehors des structures militaires habituelles. Un casse-tête. Des risques accrus. Et des réticences assurées à les envoyer au front de la part d’une armée ukrainienne elle-même parfois désorganisée et divisée entre unités presque «privatisées».
Un danger politique
Le deuxième danger est politique: Emmanuel Macron dispose-t-il vraiment, lorsqu’il évoque l’envoi possible de soldats européens sur le terrain, d’un accord minimal d’au moins une partie de ses partenaires européens? Cet aspect est crucial, car si la réponse est non, ou très vague, alors le président français, reconverti en chef de guerre après avoir tellement tenté de convaincre Vladimir Poutine, aurait mieux fait de se taire. Pourquoi? Parce que s’avancer dans cette direction risque d’accroître les divisions au sein de l’Union européenne et de l’OTAN, déjà fortes avec les refus réguliers de la Hongrie.
Le paradoxe de l’évocation de cet envoi de soldats est qu’il pourrait gripper la machine des livraisons d’armes. Tous les opposants à une intervention au sol se coaliseraient. Pour rappel, le parlement allemand a fini par accepter, il y a quatre jours à peine, l’envoi de missiles longue portée Taurus dont l’armée ukrainienne a cruellement besoin. Jusque-là, c’était non. Des soldats européens au front? C’est la pagaille politique assurée si ce n’est pas le résultat d’une décision commune et solennelle. Macron a d’ailleurs averti. Il a parlé de «dynamique». Traduire: nous n’en sommes pas là, loin s’en faut. Mais gare à l'engrenage des mots.
Un danger pour la paix
Le troisième danger est de tuer tout effort de paix et de reconstruction. Pour écrire les choses clairement: Zelensky, comme Poutine, ne seront jamais poussés à faire la paix s’ils pensent pouvoir, l’un comme l’autre, gagner cette guerre et faire beaucoup plus de mal à l’ennemi.
Emmanuel Macron et les dirigeants européens présents lundi à Paris ont bien sûr en tête le calendrier: ils veulent faire douter le Kremlin à trois semaines de l’élection présidentielle russe du 17 mars. Ils veulent signifier à Poutine qu’il se heurtera à un mur occidental. C’est pour cela qu’une nouvelle coalition occidentale pour la fourniture à l’Ukraine de «missiles et bombes de moyenne et longue portée» vient d'ailleurs d'être constituée lors de la conférence de Paris ce lundi.
L’armée russe peut donc conclure de ses annonces, sur les éventuels futurs renforts et sur les missiles, qu'elle doit saisir l'occasion de percer le front maintenant, en mettant les bouchées doubles puisque ses forces, contrairement à l’Ukraine, sont prêtes à assumer des pertes humaines massives. Pour la Suisse, qui espère toujours accueillir des pourparlers de paix d’ici l’été, l’hypothèse d’une intervention au sol est par ailleurs assurée de ruiner tout effort diplomatique.
Un danger pour la société
Autre risque majeur enfin: renvoyer au second plan le besoin urgent de faire tenir l’Ukraine sur le plan économique. Un pays, ce n’est pas qu’une armée. La résistance, ce n’est pas qu’une affaire de missiles et de bombes. Une partie de la société ukrainienne, celle qui rechigne encore à se détacher de la Russie, peut rejeter cette intervention militaire alliée.
Reste le pire des scénarios: les promesses non tenues. Certes, Emmanuel Macron n’a pas promis des soldats. «Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre», a-t-il expliqué lors de sa conférence de presse. Sauf qu’on connaît la mécanique. Une première évocation entraîne une première annonce qui crée de premiers espoirs… On sait que, dans le ciel de l’Ukraine, les avions F16 promis par les Européens ne sont toujours pas apparus. Ils sont annoncés pour l’été.
Les postures guerrières sont toujours des pièges, dans un conflit, si elles ne sont pas suivies d’actes concrets.