Poutine l'a bien compris
Voici pourquoi l'Ukraine perdra la guerre si rien ne change

Vue de Kiev, la guerre que l'Ukraine agressée mène depuis le 24 février 2022 semble de plus en plus difficile à gagner. Pire: nombreux sont ceux qui la jugent perdue si rien ne change.
Publié: 21.02.2024 à 06:09 heures
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Dernière mise à jour: 21.02.2024 à 08:55 heures
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A la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, le président ukrainien a redit son besoin urgent d'un soutien allié massif
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Avdiivka n’est pas seulement un nom sur la carte de l’Ukraine en guerre. La cité industrielle qui comptait jadis trente mille habitants est aujourd’hui le symbole de ce qui peut se répéter si l’armée ukrainienne ne reçoit pas d’urgence les renforts humains et matériels indispensables: un piège stratégique, tendu par une armée russe bien supérieure en nombre.

Avdiivka est surtout le nom que l’on prononce à Kiev, lorsque l’on veut désigner ce qui ne va plus sur le front, à des centaines de kilomètres à l’est de la capitale ukrainienne. Car deux ans après l’agression russe du 24 février 2022, l’idée que la guerre peut désormais être perdue est dans toutes les têtes ou presque. Voici pourquoi.

Deux ans après, le moral commence à flancher

C’est une réalité pour qui circule à Kiev, et plus encore en province. Les Ukrainiens sont en train de perdre la foi dans leur victoire future. Il y a encore un an, la référence à cette «victoire», ponctuait presque chaque phrase, surtout dans les entretiens avec des officiels. Il était hors de question de ne pas dire que l’Ukraine finirait par gagner ce conflit, avec l’aide des alliés occidentaux, face à Vladimir Poutine. Or cette fibre victorieuse s’est délitée au fil de l’année 2023. Les soldats qui reviennent du terrain, pour de rares permissions, racontent pour la plupart l’épuisement de leurs compagnons d’armes, le désordre dans leurs unités, les passe-droits de certains, la corruption, les ordres qui se contredisent, les munitions qui manquent, la relève de troupes fraîches qui ne vient pas. Selon le New York Times, entre 70 000 et 100 000 soldats ukrainiens auraient été tués depuis deux ans.

Autre difficulté: l’écart est de plus en plus grand entre la situation sur le front, toujours plus meurtrière face à une armée russe spécialisée dans la tactique défensive, et la vie quotidienne à Kiev ou dans les grandes villes de l’ouest du pays. De plus en plus, deux Ukraine cohabitent, même si les frappes de missiles et de drones russes s’abattent sur l’ensemble du territoire. Une partie du pays, surtout dans la capitale protégée par la défense antiaérienne, vit presque en paix et détourne le regard, à la fois honteuse et trop heureuse d'être à l'abri. Une autre, celle des mobilisés et de leurs familles, redoute une tragédie interminable.

Deux ans après, trop peu de soldats sont sur le front

Les autorités de Kiev démentent cette affirmation. Pour le gouvernement, les moyens humains sont suffisants pour mener la seule guerre efficace contre les vagues d’assaut russes: une guerre technologique à moyenne et longue distance, à base de missiles, de drones et d’artillerie de précision. Dans les rangs de l’armée en revanche, la tonalité est différente. Tous ceux qui reviennent du front s’inquiètent du manque d’hommes suffisamment aguerris, capables de tenir dans cette guerre de tranchées où la mort rôde à chaque instant. Les témoins des combats d’Avdiivka, la ville industrielle de l’oblast de Donetsk qui vient de tomber aux mains des Russes, racontent comment l’artillerie russe pilonne des positions ukrainiennes pour causer le plus de morts et de blessés possibles, car l’armée de Kiev n’a pas les moyens de remplacer ses forces. Alors que, du côté de Moscou, la mobilisation de 300 000 réservistes, plus les promesses sonnantes et trébuchantes faites aux volontaires des provinces reculées du pays, ont porté leurs fruits.

Ce différentiel en capacités humaines est accru par le brouillard des lois de mobilisation ukrainiennes. Un texte législatif est toujours en examen au parlement. Il maintiendra l’ordre de mobilisation de tous les hommes entre 27 et 60 ans, mais il sera plus précis sur les possibilités d’exemption, et fixera une durée d’engagement, alors qu’aujourd’hui, les recrues ne savent pas quand elles quitteront le champ de bataille. Dans ce brouillard, beaucoup d'Ukrainiens font tout pour éviter la conscription.

Deux ans après, l’armée Russe est moins chaotique

Durant les premières semaines de guerre, tous les observateurs du conflit ont été stupéfaits par la désorganisation de la puissante armée russe. Après l’assaut aéroporté raté de Kiev du 24 et 25 février 2022, repoussé par les unités d’élites ukrainiennes sur l’aéroport d’Hostomel, les fameuses images du convoi de blindés russes immobilisés ont fait le tour du monde. Deux ans après, changement de paradigme. L’armée de Vladimir Poutine s’est retranchée. Et ses unités de première ligne, envoyées comme de «la chair à canon», ont reçu les renforts qui font tant défaut du côté ukrainien. La victoire arrachée à Bakhmout par la milice Wagner en avril-mai 2023 a marqué un premier retournement, très utile à la propagande du Kremlin. L’échec de la contre-offensive ukrainienne durant l’été 2023 a ensuite prouvé que les Russes, retranchés derrière des champs de mines, sont très difficiles à atteindre. La conquête d’Avdiivka confirme enfin que le rouleau compresseur de l’infanterie russe est à l’œuvre.

Place, maintenant, à une offensive russe? Oui, elle est d’ailleurs en cours, autour de sept points chauds, du nord au sud: Koupiansk, Kreminna, Bakhmout, Avdiivka, Marinka, Robotyne et Krynky, sur la rive gauche du Dniepr, en face de Kerson. Est-ce à dire que l’armée de Poutine a surmonté ses problèmes logistiques? Non. L’état de l’équipement des fantassins russes et leur détermination à combattre restent très problématiques selon les témoignages des prisonniers. L’armée ukrainienne doit néanmoins à tout prix éviter la chute d’un nouveau bastion.

Deux ans après, les alliés de l’Ukraine tergiversent

Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont fait le maximum, ces derniers jours, pour rassurer le président ukrainien Zelensky. L’Ukraine dispose désormais d’un accord bilatéral de sécurité avec la France et avec l’Allemagne, après celui signé à la mi-janvier avec le Royaume-uni. Paris a réitéré sa volonté de livrer 78 canons Caesar à Kiev cette année. La Conférence annuelle sur la sécurité de Munich peut, sur cette base, apparaître comme un succès majeur pour Volodymyr Zelensky. Lequel a par ailleurs réclamé des sanctions économiques et technologiques plus performantes contre la Russie, pour éviter que des composants électroniques européens continuent d’être utilisés sur les missiles russes, comme c’est le cas actuellement.

Reste que plusieurs pièces majeures du puzzle militaire allié manquent, à commencer par le plan d’aide américain de 60 milliards de dollars, validé le 13 février par le Sénat, mais toujours bloqué par la Chambre des Représentants. Berlin rechigne en outre toujours à livrer à Kiev son stock de missiles Taurus disponibles, estimé entre 150 à 300 pièces, même si un accord est en cours entre l'Ukraine et l'industriel MBDA. Le geste le plus fort est venu du Danemark qui, le 19 février, a décidé de livrer la totalité de son artillerie à l’Ukraine. Qui va suivre?

Deux ans après, Zelensky n’est plus incontesté

Une guerre se gagne aussi sur le tapis vert de la politique et sur les écrans du monde entier. Volodymyr Zelensky, 46 ans, est sorti vainqueur incontesté de la première manche du conflit entre le 24 février 2022 et l’été 2023. Depuis? A Kiev, le changement de ton est manifeste. Personne ne conteste l’annulation de l’élection présidentielle qui aurait dû se tenir le 31 mars, pour cause de loi martiale imposée par le conflit. Mais plus ses alliés occidentaux tardent à tenir leurs promesses, plus l’ancien comédien élu chef de l’État le 21 avril 2019 se retrouve fragilisé face à ses détracteurs, civils et militaires. L’une des interrogations, à la veille du deuxième anniversaire de la guerre, porte sur les intentions du Général Valery Zaloujny, le commandant en chef de l’armée que Zelinsky vient de remplacer au profit de Olexander Syrsky, mieux apprécié, dit-on, des Américains. Les propositions qui lui ont été faites n’ont, à ce stade, pas été rendues publiques.

La contestation anti-Zelensky n’est en soi pas une mauvaise nouvelle. Elle montre que la société ukrainienne, malgré la loi martiale, demeure bien plus libre que la Russie, où Alexeï Navalny vient de mourir en détention en Sibérie, et où les arrestations sont monnaie courante, à trois semaines de l’élection présidentielle du 17 mars. Attention toutefois: le gouvernement ukrainien est de plus en plus accusé d’autoritarisme. Sans succès militaire, cette dégradation du climat politique est assurée de s’accentuer.

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