Deux accords signés ce vendredi 16 février à Berlin, puis Paris, peuvent-ils faire la différence et renverser la donne militaire en faveur de l’Ukraine face à la Russie, dont les troupes poursuivent leur offensive sur le front? La réponse est non et Volodymyr Zelensky le sait.
A quelques jours du deuxième anniversaire de l’agression russe du 24 février 2022, et le jour de l'annonce de la mort dans une prison sibérienne de l'opposant russe Alexeï Navalny, le président Ukrainien a toutefois obtenu une belle victoire politique et diplomatique. Cela lui permet de ne pas apparaître isolé et le dos au mur à la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, où il sera présent ce samedi. Mais cela veut dire quoi pour les deux pays concernés par ces accords, à savoir la France et l’Allemagne? Zelensky peut-il les entraîner, en cas d’engrenage militaire incontrôlé, dans une guerre avec la Russie? Réponse en cinq questions.
Que valent ces accords de sécurité?
Ces deux accords sont bilatéraux. Ils reprennent en partie les termes d’un premier accord de sécurité conclu le 12 janvier entre le Royaume-Uni et l’Ukraine. Ils déclinent chacun les engagements pris dans le cadre de la déclaration conjointe de soutien à l’Ukraine adoptée le 12 juillet 2023, au moment du sommet de l’OTAN à Vilnius (Lituanie) par les chefs d’Etats et de Gouvernements du G7, ainsi que par l’Union européenne. Point important: la partie militaire de ces deux textes signés à Berlin et à Paris par Volodymyr Zelensky ne comporte pas de clause d’assistance mutuelle. Normal, car l’Ukraine est en guerre et les pays de l’OTAN ont plusieurs fois affirmé qu’ils ne sont pas en conflit direct avec la Russie. L’objectif de ces deux accords est de «contribuer à renforcer structurellement et sur le long terme les capacités de l’Ukraine sur tous les plans (militaire, économique, reconstruction, etc.) avec pour objectif de renforcer la résilience du pays et décourager tout agresseur dans le futur». En clair, ce sont des promesses formalisées. Pas des garanties de sécurité.
Ces accords sont-ils comparables à l’article 5 de l’OTAN?
Absolument pas. L’article 5 du traité de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) – dont la Suisse, pays neutre, n’est pas membre, mais partenaire – prévoit qu’en cas d’attaque sur un des 31 pays membres, tous les autres s’estimeront attaqués et devront venir au secours de l’agressé. Une garantie identique est énoncée par l’article 42 du traité de l’Union européenne. Voici ce qu’il énonce, et qui lie les 27 sur le plan militaire: «Au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies». L’Ukraine, qui n’est ni membre de l’Alliance atlantique (même si elle a, depuis 2008, vocation à l’intégrer un jour, ce qui a engendré la crise avec Moscou), ni membre de l’UE (même si les 27 lui ont accordé le statut de pays candidat et ont accepté en décembre l’ouverture de négociations d’adhésion) ne peut donc pas compter sur une solidarité combattante de la France ou de l’Allemagne. On reste dans le domaine du soutien, et de l’approvisionnement en armes. Mais sans montant et sans calendrier précis.
Ces accords sont-ils une provocation anti-Russe?
C’est bien sûr ce que va affirmer Vladimir Poutine. Et il n’aura pas tout à fait tort. Ces deux accords France Ukraine et Allemagne-Ukraine sont bel et bien dirigés contre la Russie. Le communiqué français précise ainsi «qu’il s’agit d’envoyer à la Russie un message clair de détermination collective à soutenir l’Ukraine dans la durée». Les deux textes comportent aussi une clause selon laquelle Paris et Berlin prennent l’engagement «en cas de nouvelle agression russe contre l’Ukraine, de lui fournir une assistance rapide, notamment en matière de sécurité, d’équipements militaires et d’assistance économique». Moscou est donc bien l’ennemi. Or l’histoire a montré que ce type de posture peut conduire un pays à déclencher des hostilités préventives. C’est parce que la Russie s’estimait cernée par l’OTAN et son élargissement à l’est, que Vladimir Poutine a monté l’assaut du 24 février 2022. Pour la France, dont une partie de l’élite politique et intellectuelle est traditionnellement pro-russe, c’est une révolution. Idem pour l’Allemagne, qui considère désormais comme un dangereux adversaire le pays qui lui a fourni pendant des décennies du gaz à bon marché indispensable à sa croissance économique.
Zelensky peut-il forcer la main de Paris et Berlin?
Le texte de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine est conclu pour une durée de dix ans. Il confirme par exemple le rôle de leader que Paris a accepté, depuis janvier 2024, de jouer au sein des alliés, dans le domaine de l’artillerie. On sait qu’au total, 78 canons Caesar français seront livrés à Kiev en 2024. On sait aussi que des pilotes de chasse sont formés en France, ainsi que des fantassins entraînés aux difficiles combats de tranchées. Est-il concevable que ces armes décisives soient utilisées sur le terrain sans instructeurs français? Peut-on penser qu’un jour, les «frères d’armes» ne se retrouveront pas ensemble sur le front? Bref, formaliser cette coopération militaire, n’est-ce pas un moyen pour Zelensky de réclamer, demain, davantage d’implication militaire? On ne peut pas l’exclure. Bien sûr, le gouvernement français pourra toujours dire non aux demandes d’assistance ukrainiennes. Mais dans ce cas, pourquoi avoir signé un tel document? Volodymyr Zelensky ne repart pas qu’avec des feuilles de papiers et les paraphes d’Emmanuel Macron et Olaf Scholz.
Ces deux accords sont-ils une erreur stratégique?
On peut se demander à quoi servent ces engagements bilatéraux, puisque l’OTAN est fermement derrière l’Ukraine et que l’Union européenne a finalement accepté de débloquer, lors du sommet du 1er février, l’enveloppe d’aide de 50 milliards d’euros, de 2024 à 2027. Comment la France et l’Allemagne peuvent-elles encore espérer être considérées comme des partenaires crédibles par la Russie après ces accords? Un autre aspect à suivre de près est l’éventuel don à l’Ukraine, par la France, d’avions Mirage 2000 (ce que Paris a toujours refusé d’envisager), avec le risque de futures attaques aériennes ukrainiennes sur le sol Russe. N’oublions pas, non plus, tous les problèmes économiques et sociaux que va engendrer un rapprochement avec l’Ukraine, pourvoyeuse de main-d’œuvre pas chère et de produits agricoles meilleur marché et exonérés des normes UE. On ne peut toutefois pas parler «d’erreurs». La France et l’Allemagne tiennent juste leur cap. Pour Berlin comme pour Paris, la Russie est, de facto, l’ennemi qu’il faut endiguer et paralyser. Avant d’espérer reprendre un dialogue avec Moscou.