Décédé dans sa prison-goulag
Comment Poutine a gagné son duel à mort contre Navalny

Le président Russe a de nouveau triomphé d'un de ses adversaires les plus déterminés. Alexeï Navalny incarnait la résistance à tout prix au Kremlin. Sa mort, dans son camp sibérien, démontre que dans la Russie de 2024, la dictature poutinienne est impitoyable.
Publié: 16.02.2024 à 16:56 heures
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Dernière mise à jour: 16.02.2024 à 19:59 heures
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Des manifestants tiennent des affiches avec un portrait du leader de l'opposition Alexei Navalny et une inscription «Poutine est un tueur» lors d'une manifestation devant l'ambassade de Russie à Berlin, Allemagne, vendredi 16 février 2024.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Vladimir Poutine peut triompher. Quelle que soit sa cause, la mort de son opposant irréductible Alexeï Navalny, 47 ans, dans une colonie pénitentiaire de Sibérie, au-delà du cercle polaire, apporte la preuve que la contestation de son pouvoir est obligatoirement fatale. Quiconque ose défier le Kremlin risque sa vie. Et celle de ses proches. Ainsi va la vie politique dans la Russie de 2024 qui s’apprête, le 17 mars, à réélire son président nommé… Vladimir Vladimirovitch Poutine.

C’est en effet un duel que Poutine vient d’emporter. Alexeï Navalny était l’homme par qui le scandale continuait de bouillonner, à l’extérieur de la Russie. Le groupe Ringier, éditeur de Blick, lui avait décerné en août 2023, son prix européen de la culture politique. Son documentaire sur la corruption effrénée du Chef de l’État russe et de son entourage a fait des dizaines de millions de vues sur internet. Ses images du palais construit par Vladimir Poutine à Sotchi, à coups de dizaines de milliards de roubles, constituent une formidable pièce à conviction pour tous ceux qui cherchent à comprendre comment fonctionne le régime russe, combinaison du pire des services secrets, de la mafia, et de l’oligarchie des affaires, le tout, nourri par les revenus des formidables ressources naturelles de cet immense pays.

Collision frontale

Alexeï Navalny était entré en collision frontale avec Vladimir Poutine après le meurtre à Moscou, en juin 2015, d’un autre opposant à Poutine, Boris Nemtsov. En 2020, la tentative d’empoisonnement dont il affirmait avoir été victime avait failli le tuer. On connaît la suite: son exil médical en Allemagne et son choix, insensé, de rentrer en Russie où la justice l’avait condamné à 19 ans de détention pour «extrémisme».

Vladimir Poutine est un «tueur». Ce n’est pas Blick qui le dit. C’est le président américain Joe Biden qui l’a affirmé dans un entretien, en mars 2021, avant de rencontrer le président russe à Genève. Biden, vétéran de la politique américaine et vieux routier des commissions du Congrès sur le renseignement, savait de quoi il parlait. L’ancien colonel du KGB aux commandes pleines et entières de la Russie depuis sa première élection comme président, en 2000, n’a plus rien à voir avec le prétendu réformateur que certains experts occidentaux croyaient déceler en lui au début des années 2000.

Le dictateur et la guerre

Il est le tyran que Navalny décrivait dans ses interventions. Un dictateur sans état d’âme, qui a déclenché la guerre en Ukraine pour étancher sa soif nostalgique d’Empire. «Poutine a besoin de guerre […] Il n’acceptera jamais l’espace de dissidence démocratique couvert par l’OTAN tout le long des frontières russes» expliquait, dans son dernier entretien au magazine américain Time, l’opposant décédé, officiellement mort d’un malaise durant une promenade dans sa prison située au-delà du cercle polaire. Et d’ajouter, par écrit: «Pour consolider le pays et les élites, Poutine a constamment besoin de toutes ces mesures extrêmes, de toutes ces guerres – réelles, virtuelles, hybrides ou simplement des confrontations à la limite de la guerre.»

Alexeï Navalny représentait une menace symbolique. Le dissident russe, malade, affaibli, éloigné dans le grand Nord, était une figure certes contestée, voire controversée, mais vivante. En Russie, tout le monde connaissait son nom et son combat. Même ceux qui le décrivaient comme une vile marionnette des Occidentaux reconnaissaient son courage.

En face? Vladimir Poutine est en permanence la cible de rumeurs sur son état de santé. Il n’accorde que des entretiens sans risques, comme celui donné, le 9 février, au journaliste américain Tucker Carlson, lequel n’a jamais osé le contredire. Il ne s’exprime que face à des parterres de personnalités russes choisies.

Nouvelle candidature présidentielle

Sa nouvelle candidature à la présidence a été officialisée, à la mi-décembre, en réponse à une question d’un responsable ukrainien pro-russe du Donbass. Tout est décor. Tout est artificiel. Poutine, comme Staline jadis, tire les fils du pays dans une semi-obscurité que Navalny déchirait régulièrement par ses coups d’éclat. C’est cette lumière, cette capacité à capter l’attention des Occidentaux, qui s’est subitement éteinte avec la mort de l’opposant.

Le moment enfin! Poutine est un maître du calendrier. Confronté en juin 2023 à la rébellion du chef de la milice Wagner, son ex-protégé Evgueni Prigojine, il choisit de patienter. Il joue la montre. Il reçoit ce vassal devenu rebelle au Kremlin. Jusqu’à l’accident d’avion fatal dans lequel Prigojine trouve la mort, le 23 août 2023.

Or ce vendredi 16 février est une date cruciale. Un mois pile avant l’élection présidentielle russe. Pile le jour d’ouverture de la Conférence annuelle sur la sécurité de Munich, en présence de plusieurs dirigeants européens et de la vice-présidente américaine Kamala Harris. Pile au moment où le président Ukrainien Volodymyr Zelensky vient convaincre ses alliés d’équiper son armée pour contre les assauts russes.

Voilà pourquoi la mort d’Alexei Navalny ne doit rien au hasard. Elle sert les intérêts de Vladimir Poutine. Elle sème l’effroi et la peur. Or ces deux armes-là sont les seules dans lesquelles croit vraiment le maître du Kremlin.

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