Poutine veut aller plus loin
Après la chute d'Avdiivka, la peur d'une poussée russe en Ukraine

A Kiev, la commémoration des événements de Maidan, en 2014, est éclipsée par la nouvelle de la chute d'Avdiivka, tombée aux mains des Russes. Et si Poutine, désormais, avait les moyens pour gagner son offensive?
Publié: 18.02.2024 à 16:03 heures
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Dernière mise à jour: 18.02.2024 à 16:58 heures
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Dans la nuit de samedi à dimanche, de nouveaux bombardements russes ont touché la ville ukrainienne de Kramatorsk.
Photo: IMAGO/ZUMA Wire
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Richard WerlyJournaliste Blick

Kiev commémore sa bataille passée pour la liberté. Je le vois sous mes yeux. Je l’entends dans les discours. C’est du moins comme cela que les dizaines de personnes présentes, sous la neige et dans le brouillard, sur la place Maïdan de la capitale ukrainienne, présentent leur défilé du souvenir. Ce dimanche 18 février, ils rendent hommage à la «révolution de la dignité» qui, en 2014, entraîna la destitution de l’ex-président pro-russe Viktor Ianoukovitch.

Février 2014 – Février 2024. La liberté? Mais que veut dire encore ce mot lorsque, à environ 800 kilomètres de distance au sud-est du pays, une ville de trente mille habitants réduite en cendres et en ruines est désormais dans les mains de l’armée russe?

En ce dimanche 18 février, la plupart des habitants de Kiev n’ont pas en tête le nom de Maidan, synonyme du rapprochement du pays avec l’Europe de l’Ouest et du divorce avec la Russie de Poutine. Ils pensent à Avdiivka, la cité industrielle que leurs troupes viennent d’abandonner, après une bataille lourde en pertes humaines.

Avdiivka est un symbole. Comme le furent Marioupol, le port écrasé sous les bombes russes et finalement abandonné aux troupes de Poutine en mai 2022. Ou bien Bakhmout, la ville assiégée, puis occupée par la milice Wagner un an plus tard, en mai 2023. Avdiivka résonne à Kiev parce que dans quelques jours, le 24 février, la population se souviendra obligatoirement du déchaînement de violence qui, voici deux ans, faillit emporter tout le pays.

Lorsque le 24 février 2022, Vladimir Poutine lance son armée à l’assaut de l’est de l’Ukraine et de Kiev, beaucoup dans la capitale sont convaincus que les parachutistes russes seront là dans quelques heures. Certains s’y préparent. «J’étais convaincue qu’ils arriveraient. On les attendait. Cela paraissait inéluctable» se souvient Maria, réceptionniste d’un hôtel du centre de Kiev.

Puis l’impossible a eu lieu. Kiev a résisté. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky est resté. Et l’idée que le Kremlin ne parviendra jamais à asservir les Ukrainiens s’est installée.

Les fissures dans le récit

Or les fissures apparaissent dans ce récit héroïque que Zelensky a de nouveau tenu à la conférence sur la sécurité de Munich, au moment même où son nouveau commandant en chef Oleksander Syrsky confirmait le retrait de son armée d’Avdiivka.

Aussitôt, les réseaux sociaux ont été saturés des images de soldats russes hissant leur drapeau blanc, bleu et rouge au centre de la ville conquise. Sur des ruines. Devant des immeubles éventrés par les salves d’obus incessantes.

Changement de ton

Changement de ton toutefois à Bakhmout. En 2023, les médias ukrainiens mettaient en avant la sauvagerie des miliciens Wagner, jetés au front comme de la chair à canon par l’armée russe, ce qui entraîna ensuite la rébellion de leur chef, Evgueni Prigojine (mort en août 2023 dans l’explosion de son avion au-dessus de la Russie).

A propos d’Avdiivka, les Ukrainiens dénoncent d’abord la supériorité russe en matière d’artillerie, les problèmes d’approvisionnement en obus, les complications engendrées sur le front par la diversité des armements fournis par leurs Européens. Ils montrent, bien sûr, les images de combattants tués, les mains liées, par les soldats russes. Mais l’heure n’est plus aux affirmations selon lesquelles cette victoire de Poutine serait seulement «symbolique».

«Poutine sera réélu lors de l’élection présidentielle russe du 17 mars. Il apparaîtra comme un président victorieux. Les Russes, même ébranlés par la mort d’Alexeï Navalny, seront encore plus vulnérables à sa propagande» juge Oleg, un ingénieur informatique qui peste, «contre l’État ukrainien qui nous a engagés dans une guerre impossible à gagner».

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Impossible à gagner, vraiment? Dans les rues de Kiev noyées par le crachin neigeux, les sorties des églises orthodoxes sont pleines. On prie. On bénit les troupes au front. L’on échange des informations sur la campagne de recrutement, parfois forcé, qui inquiète chaque famille avec des jeunes hommes en âge de partir au front. Même les quinquagénaires sont concernés.

Dans le jardin de l'hôpital Alexander, la chapelle Mikhailovska est remplie. Deux mères échangent sur les bancs. Elles connaissent bien entendu le nom d’Avdiivka, la nouvelle ville martyre. Elles approuvent toutes les deux le retrait de l’armée ukrainienne. «Trop de morts. Trop de sang versé. On paie trop cher notre résistance à Poutine. Les Russes n’arrêteront jamais» lâche l’une d’entre elles, en montrant, dans son portefeuille, la photo d’un de ses fils dans un camp d’entraînement, près de Lviv, dans l’ouest du pays. Aucun mot sur l’héroïsme des troupes ukrainiennes, attesté par quantité d’images sur internet. Rien, cette fois, sur la sauvagerie des troupes russes.

Importance stratégique limitée

Avec la chute d’Avdiivka, dont l’État-Major ukrainien limite l’importance stratégique, promettant une prochaine nouvelle contre-offensive, la guerre en Ukraine semble paradoxalement s’enliser dans l’abominable routine d’un pays assiégé. A Munich, les promesses d’armement des dirigeants européens ne suscitent pas de réaction chez ces deux femmes. Encore moins d’approbation.

Les deux haussent les épaules quand le nom de Zelensky est prononcé. Le pays est sous loi martiale. Il n’y aura pas, en Ukraine, d’élection présidentielle alors qu’elle aurait dû avoir lieu le 31 mars. Avdiivka n’est pas une défaite majeure. Elle est une blessure de plus. Comme une amputation volontaire qui en laisse craindre d’autres. Mais jusqu’où? Et jusqu’à quand?

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