L’OTAN n’est pas en guerre avec la Russie. Cette doctrine officielle a de nouveau été répétée ce lundi, à Paris et à Budapest. A Paris, l’Alliance Atlantique était représentée par une bonne partie de ses 31 pays membres, invités par la France pour une conférence de soutien à l’Ukraine, pile deux ans après l’agression russe du 24 février 2024. À Budapest, l’OTAN a par ailleurs reçu le feu vert définitif à l’intégration de son 32e membre: la Suède. Le parlement hongrois a finalement voté la ratification de l’adhésion du pays scandinave qui, comme la Finlande, a décidé en 2022 d’abandonner sa neutralité.
Pas de guerre avec la Russie? C’est pourtant bien l’armée russe que l’Ukraine combat, et c’est bien la Russie de Vladimir Poutine que les Occidentaux veulent faire plier, alors que le gouvernement de Kiev reconnaît avoir perdu 31'000 soldats depuis le début du conflit, et que le président Ukrainien vient encore affirmer que son pays a seulement reçu à ce jour 30% des obus promis par les pays européens. «Notre objectif reste, plus que jamais, de faire douter le Kremlin. Poutine doit se dire qu’il risque de perdre gros dans cette guerre» estimait dimanche un diplomate français, impliqué dans la préparation de la conférence que le président ukrainien Volodymyr Zelensky ouvrira à distance, en visioconférence. Or, pour faire douter Poutine, un seul moyen: renforcer d’urgence l’armement ukrainien. Quitte à contourner pour cela les obstacles politiques rencontrés dans plusieurs pays de l’Alliance, à commencer par les États-Unis, où la Chambre des Représentants refuse toujours d’avaliser le paquet de 60 milliards de dollars d’aide à l’Ukraine voté par le Sénat le 13 février.
Commande massive de la Pologne
Comment? En transformant l’Ukraine de destinataire en acheteur. «Oui, l’urgence est de pouvoir livrer plus d’obus. Dès lors, achetons-les là où ils sont disponibles» poursuit notre interlocuteur. La République tchèque l'a proposé. 800 000 obus internationaux peuvent être rapidement livrés. Ils sont, entre autres, sud-coréens et sud-africains. Le gouvernement ukrainien, s'il les achète, n’aurait donc pas besoin d’attendre les livraisons d’armes promises. Place au marché de l’armement privé, avec ce que cela suppose d’intermédiaires et d’arrangements probables avec la transparence des marchés publics exigée par les pays européens. «Si l’Ukraine paye, elle peut s’équiper, et vite. Il faut juste pour cela que nous soyons capables d’accepter que notre aide financière soit aussi utilisée pour acheter des armes» complète un autre diplomate.
On pense à la commande massive que la Pologne, pays membre de l’OTAN, a passée en 2023 à la Corée du Sud, pays asiatique allié des États-Unis. Varsovie a annoncé en août 2023 l’achat de mille chars sud-coréens KXNUMX. Objectif: hausser en urgence la capacité blindée de ses forces armées. Et si, au lieu de s’organiser pour produire plus de munitions et d’armes, les Européens aidaient déjà l’Ukraine à s’en procurer davantage?
Capitales européennes inquiètes
Ce plan évoqué au sein de l’OTAN n’est pas à proprement parler secret. Mais il énerve dans plusieurs capitales européennes, où l’on redoute de voir les prix de certains matériels (missiles, artillerie à longue portée, drones militaires) s’envoler si l’Ukraine accroit son shopping qu'elle mène déjà tambour battant, puisqu'elle est devenue depuis février 2022 le 3e importateur d'armes au monde. «Il est très important que l’Europe puisse réarmer, que l’Europe puisse s’équiper, que les industriels de défense européens puissent produire ensemble, puissent produire, innover, tenir compte des nouvelles menaces, prendre en compte les leçons du terrain en Ukraine. Et donc, il ne suffira pas d’acheter du matériel ici ou là, pour réaliser ce grand objectif» complète, à Paris, notre interlocuteur. «Les industriels européens, pour améliorer la cadence de leur production, ont besoin de visibilité sur les contrats qu’on leur donne. Tous les matériels dont on parle coûtent très cher et il faut, pour les industries d’armement comme pour toutes les autres, avoir de l’assurance sur les carnets de commande pour pouvoir déployer, pour mettre en place les lignes de production qui conviennent».
Pourquoi ce plan énerve aussi ? Parce qu’il consiste, de facto, à inciter l’Ukraine à puiser dans les 50 milliards d’euros finalement par les Européens le 1er février pour la période 2024-2027 afin d’acheter du matériel militaire américain. Notre diplomate ajoute, en requérant l’anonymat: «Par analogie, si l’on accepte que l’Ukraine achète à tout-va en urgence, on se retrouvera dans la même situation qu’au moment du Covid où nous avons pressé toutes sortes d’entreprises de livrer des masques jusqu’au moment où elles ont dû renoncer à cette production, tout simplement parce qu’on les avait obtenus ailleurs entre-temps et qu’il n’y avait plus de demande au moment où leurs chaînes de production étaient opérationnelles. Donc, il faut être très vigilant sur la production par l’Europe des armements dont l’Ukraine a besoin et dont elle a elle-même besoin».
Japon, Corée du Sud, Australie...
D’autres pays que les États-Unis se frottent aussi les mains. Le Japon, qui s’interdit de vendre des armes en raison de sa constitution, pourrait faire une nouvelle exception, après avoir accepté de puiser dans ses stocks pour alimenter l’armée ukrainienne. La Corée du Sud a des conglomérats militaro-industriels prêts à produire davantage. L’Australie, où les principales compagnies américaines sont présentes, pourrait aussi répondre aux demandes de Kiev. Il se murmure que même Taïwan, dont les arsenaux sont remplis à ras bord, pourrait voir ses industriels sollicités.
Au QG de l’OTAN à Mons, en Belgique, les scénarios sont moulinés pour voir ce que l’Ukraine pourrait acheter en urgence, car il faudra ensuite acheminer ces matériels sur place, par la terre, via les pays de l’Alliance frontaliers de l’Ukraine. La priorité reste donnée à l’augmentation des cadences de production. L’entreprise française Nexter (qui produit le canon Caesar) et l’allemand Rheinmetall sont sous pression. Reste que rien ne remplace, en temps de guerre, un bon et solide carnet de chèques et de solides réserves de devises.
A Paris ce lundi, une approche plus commerciale de l’approvisionnement militaire à l’Ukraine est donc tout, sauf exclue. Les marchands d'armes se frottent les mains.