Deux ans face à la Russie (4/4)
Zelensky, ce héros qui doit encore devenir président

Volodymyr Zelensky porte depuis deux ans le destin de son pays en guerre sur ses épaules. Le président a changé comme le conflit depuis le 24 février 2022. S'il n'a plus l'image du sauveur incontesté, il demeure le résistant en chef.
Publié: 24.02.2024 à 11:36 heures
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Dernière mise à jour: 24.02.2024 à 11:39 heures
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La Première ministre Mette Frederiksen (C), son mari Bo Tengberg et le président ukrainien Volodymyr Zelensky déposent une gerbe lors d'une cérémonie commémorative au Champ de Mars du cimetière de Lychakiv à Lviv, Ukraine, 23 février 2024.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Un héros mondial. Une figure planétaire. Le 24 février 2022, Vladimir Poutine propulse sur le devant de la scène internationale un homme qui, dix ans plus tôt, cumulait les succès d'un tout autre genre: sur scène, dans les meilleurs théâtres de Moscou. Deux ans plus tard, Volodymyr Zelensky est contesté. Mais il ne doit pas certainement pas être conjugué au passé. Il doit encore s'adresser en visioconférence, ce samedi, aux dirigeants des pays du G7, à l'initiative de l'Italie. Il demeure le président de l’Ukraine en guerre, agressée par l’armée du géant et voisin russe: le résistant en chef.

«Il a tenu dans des circonstances où de très nombreux dirigeants de grands pays auraient craqué» souligne Antonina Poletti, éditrice de l’Odessa Journal, un site web qui raconte, au jour le jour et en anglais, la résistance dans la grande ville portuaire de la Mer Noire, sous la menace constante des missiles et des drones russes. Puis vient la phrase qui fait mal. Celle qui, après deux ans de conflit et près de 500'000 morts et blessés de part et d'autre, dit les interrogations que beaucoup partagent, en Ukraine, sur l’ancien acteur élu Chef d’État, le 21 avril 2019: «Le problème, c’est son entourage. Zelensky n’a pas réussi à imprimer sa marque comme patron d'une équipe et d'une administration. Il ne tient plus ceux qui rôdent autour de la présidence».

Mikhailo Podoliak est l’un des plus proches conseillers de ce président de 46 ans, toujours habillé depuis deux ans de la même façon, où qu’il soit: en tenue militaire kaki, ou en pantalon et sweat-shirt noirs frappés d’un Trident, le symbole de l’Ukraine. Cet ancien journaliste mime d’ailleurs son président sur le plan vestimentaire. Lui aussi est tout en noir, calé derrière une table du dernier étage du restaurant Adriatic, non loin des bureaux où Volodymyr Zelensky n’a jamais cessé de travailler, malgré l'assaut et les frappes russes.

«Pas besoin d’un taxi»

Mikhailo Podoliak était à proximité de l’ancien héros de la série télévisée «Serviteur du peuple», lorsque ses interlocuteurs, à la Maison-Blanche, lui ont proposé de quitter l’Ukraine attaquée, le 24 février 2022: «J’ai besoin de munitions et d’armes, pas d’un taxi» a répliqué celui qui, en quelques heures, n’a pas eu d’autre choix que de se convertir en chef de guerre. Une formule magique. Un coup de communication parfait. Zelensky-Churchill? La comparaison a aussitôt essaimé. «Ceux qui le jugent aujourd’hui en oubliant ces heures-là, lorsque tout le monde nous donnait perdants, laminés par l’armée russe, se livrent à une opération de désinformation massive, plaide son conseiller. Un homme d’État se juge dans ces moments-là. Zelensky a pris un risque incroyable en affrontant Poutine».

Peut-on rester un héros? Peut-on continuer d’incarner la lutte d’un pays pour sa survie lorsqu’au fil des mois, l’usure des combats et l'ampleur des pertes humaines rongent votre pays et la communauté internationale? J’interroge sur ce point deux jeunes ukrainiens qui savent combien ce conflit est atroce, dans les tranchées du front, à l’est du pays. Igor Korpusov et Fedir Serdiuk ont fondé Pulse, une organisation non gouvernementale spécialisée dans la formation des militaires aux secours médicaux d’urgence. Tous deux sont en contact régulier avec les services médicaux des armées européennes qui soutiennent l’Ukraine. Ils envoient chaque mois leurs statistiques affreuses sur les morts et les blessés, transmises par les unités combattantes, au QG de l’OTAN, la plus puissante coalition militaire du monde qui soutient l'Ukraine sans engager de troupes. Et sans mener d’opérations directes contre l’armée russe.

Pas un chef incontesté

«Le leadership de Zelensky est moral. Son image reste très forte dans l'opinion. Il n’a, en revanche, jamais été perçu comme un chef incontesté par les commandants de notre armée, jugent-ils. C’est pour cela que ses divergences avec le commandant en chef Valeri Zaloujny ont fini par éclater au grand jour. Son rôle a toujours été celui d’un porte-parole de la cause ukrainienne. Sans lui, les Européens n’auraient pas bougé autant. Il a porté sur ses épaules le moral du pays et de l’armée. La difficulté principale, c’est le temps qui passe. Maintenant, son sort politique dépend des Occidentaux. S’ils ne livrent pas les équipements et les armes prévus, Zelensky apparaîtra comme un perdant. Tout se compliquera.»

Zelensky-Zaloujny. Deux personnalités aux antipodes qui, durant ces deux ans de guerre, ont réussi l’impossible: garder le pays uni dans sa résistance à la Russie de Poutine. Le second n’est plus commandant en chef depuis le début février. Le président l’a remplacé par un autre officier supérieur, Olexander Syrsky, plus porté, dit-on, sur la défensive et sur l’économie des vies humaines. Sauf que cette version est contestée par de nombreux militaires. Beaucoup, dans l’armée, estiment que plusieurs opérations très coûteuses en vies humaines au cours des deux années de guerre, comme la défense de Bakhmout pendant des mois face aux miliciens russes de Wagner, étaient le fait d'Olexander Syrsky.

Ignorant des questions stratégiques

Nos deux formateurs en secours médicaux rechignent à commenter cette accusation. Avant d'admettre que ce président-combattant a parfois, par souci d'impressionner l'opinion mondiale, fini par oublier qu’il ne connaissait rien aux questions stratégiques. «Zelensky est ce que nos alliés ont voulu voir en lui. Ils l'ont en quelque sorte fabriqué. Ce sont les médias occidentaux qui l’ont transformé en icône, complète Igor au téléphone, après notre rencontre dans les bureaux de Pulse. Fait révélateur, l'intéressé ne voulait pas évoquer ce sujet devant ses collègues. Trop clivant. «Chaque défaite politique de Zelensky fait le jeu de Poutine poursuit Igor. Cette guerre, c’est un duel entre deux hommes qui n’ont rien en commun. Poutine a passé sa vie à gérer dans l'ombre et le silence la violence et la mort. Zelensky, c’est le contraire: une voix, une vie, le besoin d'avoir un public».

Le plus difficile pour ce président, dont le mandat de cinq ans expire en théorie ce printemps, est d’être sans cesse confronté à une équation insoluble: comment vivre demain avec la Russie? La géographie ne changera pas. Volodymyr Zelensky, l’ex-acteur qui manie la langue et l’humour russe en virtuose, sait qu’une grande partie de son pays, l’Ukraine, sera toujours de culture russe. Il sait que presque toutes les familles ukrainiennes ont des parents de l’autre côté de la frontière. Mais que faire?

Promesses occidentales

Le président ukrainien a surtout appris, entre 2022 et 2024, à discerner entre les promesses de l’Occident et leur mise en œuvre. Dans les premiers jours du conflit, c'est l'unité des alliés à ses côtés qui l'a dissuadé de négocier. A-t-il été manipulé comme l'affirment ses détracteurs? Mikhailo Podoliak, son conseiller, s’énerve. Il voit bien que son patron est le bouc émissaire parfait. Les pro-Poutine l'accusent, sans aucune preuve tangible, d'avoir refusé un rapide cessez-le-feu avec la Russie. Les Occidentaux les plus réticents envers l'Ukraine, et tous ceux qui rechignent à aider le pays à Washington ou à Bruxelles, lui reprochent de tordre le bras à ses partenaires à coups d'appels au secours chargés d'émotion.

Colère: «Qu’est-ce qu’un allié? Quelqu’un qui promet ou quelqu’un qui agit? Zelensky les force à agir» commente Mihailo Podoliak avec un sourire ironique. Vendredi 23 février, à la veille du deuxième anniversaire de la guerre, la Première ministre du Danemark a confirmé, à Kiev, que son pays livrera l’intégralité de son artillerie à l’Ukraine. Ce 26 février, une nouvelle réunion va avoir lieu à Paris, après la signature consécutive de cinq accords de défense pour dix ans entre l’Ukraine, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas. L'acteur-président a une caractéristique: il ne lâche rien.

Reste l’avenir. Le sien et celui du pays. Les Ukrainiens savent, parce qu’ils le vivent au quotidien, que leur État, au sein duquel la corruption règne, ne se réforme pas comme l’Union européenne l’espère et l’exige, dans le cadre des négociations d’adhésion ouvertes avec Kiev en décembre 2023. Ils savent aussi que Volodymyr Zelensky ménage ses oligarques et ne les lâche que sous la pression, comme il l'a fait avec Igor Kolomoisky, magnat des médias et de la finance, finalement arrêté pour fraude en septembre dernier. Zelensky fait aussi face aux intérêts parfois divergents des responsables des provinces, qui profitent de la guerre pour agir sans en référer à Kiev.

Face à Poutine

Quel avenir, surtout, face à Vladimir Poutine, le dictateur qui, depuis deux ans, verrouille, cadenasse et élimine? A l'issue de l'élection présidentielle du 17 mars, cela ne fait aucun doute, l'homme fort du Kremlin sera réélu pour six ans à la tête de la Russie. Zelensky, lui, doit son maintien au pouvoir actuel à la loi martiale imposée par la guerre. L’élection présidentielle ukrainienne, qui aurait dû avoir lieu le 31 mars, a été ajournée. Très peu, au sein de la population, contestent cette décision. Mais après? Le travail de sape politique va continuer de faire son œuvre, au risque de se transformer en champ de mines en cas de retour au pouvoir de Donald Trump à Washington.

Zelensky le sait. En 1945, le «lion» Churchill, pourtant victorieux, essuya une défaite historique aux élections législatives en Grande-Bretagne. L'étoffe des héros, acquise dans le tumulte de la guerre, est toujours un bouclier fragile face à l’usure du temps. Et face au besoin de la population d'en finir un jour avec l'horreur.

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