Le livre à ne pas rater
L'Ukraine et l'OTAN ne gagneront pas la guerre, c'est un Suisse qui l'écrit

Jacques Baud est un expert suisse du renseignement et des questions militaires. Il pourfend les thèses occidentales sur la Russie, à propos de la guerre en Ukraine. Le lire, sur place à Kiev et Odessa, s'avère salutaire.
Publié: 25.02.2024 à 22:04 heures
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Dernière mise à jour: 25.02.2024 à 22:24 heures
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Dans «Ukraine entre guerre et paix», Jacques Baud dresse d'abord le constant d'un échec stratégique occidental.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Lire Jacques Baud au fil de mon séjour à Kiev puis Odessa, alors que la guerre fait rage en Ukraine depuis deux ans suite à l’agression de la Russie le 24 février 2022, s’est avéré salutaire. Voilà donc, étayée, argumentée, précisée avec force, dessins et cartes, la thèse de l’échec occidental détaillée sur près de 300 pages par cet ancien expert du renseignement suisse. J’ai bien écrit «échec» car, pour Jacques Baud, l’affaire est entendue: la Russie n’a pas échoué dans son assaut contre l’Ukraine, bien au contraire. Elle n’est pas non plus en difficulté sur le terrain, malgré les déclarations des pays membres de l’OTAN. Le titre de son livre «Ukraine, entre guerre et paix» (Ed. Max Milo) est d’ailleurs mal choisi. Il aurait été plus juste de l’intituler «Comment l’Ukraine a perdu la guerre».

Le problème de Jacques Baud ne provient pas de ses éventuelles erreurs dans l’analyse de la stratégie militaire suivie par les Occidentaux. Je suis mal placé pour juger. Je ne suis ni un expert en matière militaire, ni un spécialiste de la Russie, ou de l’Ukraine. Il se trouve juste que je reviens à nouveau du terrain, là où les choses se passent, et que beaucoup d’affirmations de l’auteur me semblent pour le moins hâtives, voire tout aussi éloignées des réalités que celles des analystes de plateaux TV qu’il passe son temps à démolir.

Obsédé par les médias

Car oui, ce Suisse bien informé est obsédé par les médias. Il cite à tour de bras, pour les pilonner de critiques, les intervenants de la RTS (syndrome helvétique oblige), de LCI (la chaîne de Darius Rochebin, sur laquelle j'interviens parfois) et d’autres chaînes françaises d’information continue. C’est à se demander si l’auteur ne passe pas son temps devant les écrans. Une question, d’ailleurs, se pose après avoir refermé son ouvrage: à quand remonte le dernier voyage de Jacques Baud sur la ligne de front qu’il décrit dans ses moindres détails? Peu importe qu’il soit allé coté ukrainien ou russe, la réponse m’intéresse.

Mais passons. Oublions aussi, même si elles donnent parfois envie de refermer l’ouvrage avec fracas, les phrases aussi définitives que contestables. Sur le Donbass, cette région de l’est de l’Ukraine en partie annexée par la Russie, «les Russes connaissent la réalité des choses». Ah bon? Pas un mot sur la propagande du régime de Vladimir Poutine. Pas un mot – si c’est écrit, merci de me le signaler – pour dire noir sur blanc que l’homme fort du Kremlin est un dictateur qui verrouille tout, à commencer par l’information, et qui élimine physiquement ses opposants. Rien!

La Russie, cruellement sous-estimée

L’approche de Jacques Baud est simple, limpide: la Russie est un pays comme un autre dont nous avons grand tort de sous-estimer l’intelligence, la puissance et la grandeur. Pour lui, le fait d'être l'agresseur ne change rien à l'affaire. Je m’arrête là car l’on me reprochera aussitôt d’être anti-russe, voire vendu à la propagande de l’OTAN, cette alliance atlantique que l’auteur exècre (et dont la Suisse se rapproche). Je voulais juste signaler que ce livre, qui prétend remettre la vérité dans le droit chemin, a quelques présupposés sacrément problématiques.

Or pourtant, je l’ai lu. Et je vous conseille de le lire. Car Jacques Baud, en bon helvète, est très minutieux. Il note. Il précise. Il compare. Bien joué. Bien vu. Oui, à le lire, l’incapacité de l’OTAN à accepter que l’on mène la guerre autrement que selon les critères occidentaux est criante. Oui, à le lire, la Russie n’a sans doute pas subi une si lourde défaite, comme l’affirment les commentateurs décriés (j’imagine que j’en ferai désormais partie aux yeux de l’auteur). Oui, Moscou a une stratégie, et celle-ci a permis à l’armée russe de conquérir près de 25% du territoire ukrainien, et de profiter de l’épuisement progressif des alliés. Oui, il est toujours dangereux de croire que votre adversaire est incapable. Coté armement, la Russie tient bon. Coté utilisation de l’artillerie, la Russie a une tactique (abominable en pertes humaines) qui produit des résultats. «Ukraine, entre guerre et paix» a l’immense mérite de redire aux Occidentaux qu’une guerre ne se gagne jamais par la seule technologie, mais par un mélange d’armes, de sacrifices humains et de capacité à tenir jusqu’à l’obtention des résultats espérés.

Pas d’impartialité

J’ai lu Jacques Baud comme nous devrions tous le faire, lorsqu’on se rend sur un terrain de guerre: avec le souci de comprendre ce que pense celui d’en face. Je ne crois pas, vous l’avez compris, à l’impartialité de l’auteur, pour qui seule compte la loi des armes, et pour qui les guerres occidentales (Libye, Afghanistan, Irak, Sahel) sont des crimes aussi graves que celui commis par la Russie en Ukraine. Je ne suis pas d’accord avec cette assertion. Je suis allé en Irak, en Afghanistan, en Libye, au Sahel. La situation y était, dans les faits, bien différente de celle que l’expert suisse décrit à coups de volées statistiques, pour démontrer que l’Occident est criminel et justifier au passage le comportement de Vladimir Poutine. Mais qu’importe, car c’est ici de l’Ukraine qu’il s’agit. Là, Jacques Baud pointe des réalités problématiques. Il pointe à juste titre la différence entre ce qui se passe là-bas et ce que l'on en dit dans les capitales européennes. Il ose, contrairement à la majorité des experts, affirmer que la Russie sort pour l'heure gagnante de ces deux années de conflit, et que l’OTAN a beaucoup menti sur les fournitures d’armes à l’Ukraine, livrant souvent des équipements obsolètes et coûteux à réparer.

L’histoire dira si, comme l’auteur le pense, nos démocraties occidentales se rendent aveugles à force de présupposés, de clichés et de condescendance. Pour que cela soit clair, je pense absolument le contraire, car la défense de la liberté a toujours démontré, dans le passé, qu’elle était un moteur puissant de résistance et d’émancipation.

Entendons-nous bien: les pouvoirs autoritaires et totalitaires peuvent, eux aussi, gagner d’immenses victoires. Mais à une nuance près: ils les obtiennent sans se soucier de leurs peuples. Et, très souvent, au détriment de nos libertés.

A lire: «Ukraine, entre guerre et paix» (Ed. Max Milo)

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