Le vrai visage de la guerre
Ce que les soldats européens trouveront en Ukraine, s'ils y sont déployés

Déployer des soldats européens en Ukraine? Après les propos d'Emmanuel Macron, cela paraît pour l'heure impensable. L'Allemagne a déjà dit non. Mais si c'était le cas un jour, voici ce qu'ils y trouveraient.
Publié: 28.02.2024 à 06:10 heures
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Dernière mise à jour: 28.02.2024 à 07:45 heures
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Dans les bunkers des unités ukrainiennes au front, à la merci des bombes téléguidées russes.
Photo: Anadolu via Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

Partir combattre en Ukraine demain, cela signifierait quoi pour un soldat d’une armée régulière européenne? A partir d’entretiens avec des experts militaires, et après deux semaines de reportage dans ce pays où presque toutes les familles ont un parent mobilisé, voici à quoi les éventuels renforts alliés se retrouveraient confrontés.

L'hypothèse d'un déploiement au sol a été évoquée en termes ambigus par Emmanuel Macron lundi 26 février à Paris. Elle est pour le moment écartée et jugée impensable par la plupart des autres dirigeants européens, à commencer par le Chancelier allemand Olaf Scholz.

Plusieurs guerres ont lieu en Ukraine


C’est ce que l’étude des cartes et des opérations militaires montrent chaque jour: plusieurs guerres ont lieu simultanément en Ukraine et tous les fronts ne se ressemblent pas. Rien de commun, par exemple, entre le quotidien d’une unité de l’armée ukrainienne engagée dans les combats autour d'Avdiïka, la ville industrielle de l’Oblast de Donetsk. Les Russes viennent d'en prendre le contrôle après l’avoir aplati sous un déluge d’artillerie, et celui des unités antiaériennes positionnées autour de Kiev, d’Odessa ou des sites stratégiques.

Quand Emmanuel Macron parle, au conditionnel, de l’absence de consensus pour «envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol», il laisse ouvert toutes les possibilités. Certains militaires, à Kiev, n’excluaient pas ces derniers jours que des pilotes non ukrainiens soient dans le cockpit des F16 que l’Ukraine doit recevoir cet été, et dont beaucoup pensent qu’ils seront basés hors des frontières du pays, pour éviter leur destruction.

On pense aussi au maniement des batteries antimissiles Patriot (américains) ou Mamba (franco-italiens). La présence de forces spéciales britanniques en Ukraine a été plusieurs fois évoquée. Pour rappel: environ 15'000 volontaires étrangers se sont engagés, après l’agression russe du 24 février 2022, dans la Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine. Mais ils ne sont, en général, pas déployés en première ligne.

Combattre, c’est aussi risquer d’être blessé

Il faut entendre les responsables de l’organisation de secours médicaux Pulse, basée à Odessa, raconter le quotidien des ambulanciers et infirmiers sur le front ukrainien. Ils connaissent mieux que quiconque les contraintes opérationnelles de l’armée ukrainienne auxquelles se retrouveraient confrontés des soldats européens, issus des armées régulières de pays membres de l’OTAN.

Un exemple: au sein de l’Alliance atlantique, la doctrine est que chaque bataillon soit en lien avec une unité médicale héliportée prête pour évacuer les blessés, et pratiquer immédiatement des opérations chirurgicales. Ce n’est pas le cas en Ukraine, où les hélicoptères ne peuvent quasiment pas voler (par peur d’être abattus), et où les unités combattantes doivent faire appel à des véhicules de secours restés basés à l’arrière, souvent à plusieurs kilomètres, voire à des véhicules de transport de troupes classiques.

La logistique de secours n’a rien à voir avec celle des armées européennes, ce qui accroît considérablement les risques pour les combattants. Selon les estimations américaines, environ 200'000 soldats ukrainiens ont été blessés et tués depuis deux ans (contre plus de 300'000 hommes pour la Russie). Le président Zelensky admet, lui, le chiffre très inférieur de 31'000 soldats tués

Être déployé en Ukraine, c’est devenir un mercenaire

Les subtilités diplomatiques disparaissent vite sur le terrain. L’idée selon laquelle il serait possible d’envoyer des troupes européennes au sol sans entrer en guerre avec la Russie est très théorique. Le Kremlin, bien sûr, s’empressera de dire le contraindre et de le démontrer si des soldats étrangers sont faits prisonniers par son armée. Or, être ennemi de la Russie, cela change tout – dans beaucoup de domaines.

Comment feront les gouvernements dont des ressortissants se retrouveraient capturés par les soldats russes? Qui négociera leur libération, au-delà du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) basé à Genève? Une nouvelle question lui sera d'ailleurs posée: ces belligérants d’un nouveau type seront-ils considérés comme les autres prisonniers? Ou seront-ils considérés comme des mercenaires?

Précisons que ces derniers n’ont pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre, ni à aucune des catégories de personnes protégées prévues par les Conventions de Genève, à moins qu’ils ne soient blessés ou malades (article 47 du protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949).

L’armée ukrainienne n’est pas aux standards OTAN

La blague court à Kiev, lorsqu’on parle avec des militaires ukrainiens: «Le seul standard OTAN que nous respectons, c’est le calibre des obus tirés par vos canons.» L’artillerie de l’OTAN tire en effet des obus de 155mm, alors que les tanks et les canons hérités de l’ex-Union soviétique tirent des obus de 122, voire 152 mm. Pour le reste, rien ou presque, dans l’armée ukrainienne, ne correspond aux standards de l’Alliance atlantique.

Les brigades sont souvent indépendantes les unes les autres pour leur logistique. Certaines sont directement financées par des oligarques comme l’ancien président Petro Porochenko, fondateur de Roshen, le plus gros fabricant ukrainien de confiseries et de chocolat.

Ce désordre apparent est compensé au niveau des États-Majors, mais là aussi, une grande autonomie prévaut sur chaque front. Comment seraient positionnées d’éventuelles unités européennes? Sous quel commandement? La confusion n’est jamais, en temps de guerre, porteuse de solutions.

Missiles longue portée, drones, cyber: l’autre guerre

C’est peut-être dans ce domaine que des renforts européens éloignés du front seraient envisageables. On sait que le commandement américain a plusieurs fois reproché aux Ukrainiens d’utiliser des missiles beaucoup trop coûteux pour abattre des drones de quelques milliers d’euros, comme l’explique l’ancien officier suisse Jacques Baud dans son livre «Ukraine: entre guerre et paix» (Ed. Max Milo).

Or plus les Occidentaux fourniront ce type des missiles (Scalp ou Storm Shadow français et britanniques, Taurus allemands, MGM-140 ATACMS américains), plus ils voudront s’assurer de leur utilisation optimale. On pense aussi à des unités spécialisées dans le brouillage électronique, pour empêcher les missiles russes d’atteindre leurs cibles, même si l’armée ukrainienne fait déjà des prouesses dans ce domaine.

Le théâtre d’opérations le plus adapté à cette guerre à distance est la partie méridionale de l’Ukraine, proche de la mer Noire. Des renforts alliés pourraient permettre, en augmentant la précision des frappes, de faire encore plus mal aux forces russes et de menacer la Crimée. Une nouvelle contre-offensive pourrait alors être épaulée à l’arrière par des experts alliés et sur le front par des unités ukrainiennes équipées d’un armement moderne et de munitions en grande quantité.

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