Peut-on encore, aujourd’hui, écouter un discours de Vladimir Poutine et s’en tenir aux faits? Les menaces proférées par le président Russe contre les Occidentaux et les alliés de l’Ukraine dans son discours sur l’état de la nation prononcé ce 29 février à Moscou signifient-elles que son pays est désormais prêt à étendre la guerre déclenchée le 24 février 2022? Essayons, après avoir écouté ce discours, de distinguer entre les propos les plus inquiétants. Et de voir en quoi ce discours change, ou non, la donne à deux semaines de l’élection présidentielle du 17 mars, qui verra à coup sûr le maintien au pouvoir de l’homme fort du Kremlin.
Poutine brandit l’arme nucléaire: rien de neuf
«Ils (les pays occidentaux) doivent finir par comprendre que nous avons aussi des armes capables d’atteindre des cibles sur votre territoire […] Tout ce qu’ils sont en train d’inventer […] fait peser la menace réelle d’un conflit nucléaire, ce qui signifie la destruction de la civilisation». Cette phrase est presque devenue rituelle dans les discours de Vladimir Poutine. Depuis l’agression russe du 24 février 2022, celui-ci a plusieurs fois brandi la menace de l’arme atomique, mais à chaque fois de façon graduée. Certes, la Russie est la première puissance nucléaire mondiale avec 5900 ogives (contre environ 5200 pour les États-Unis). Mais il faut se souvenir qu’en décembre 2022, le Kremlin avait défini sa doctrine ainsi: «Nous considérons les armes de destruction massive, l’arme nucléaire, comme un moyen de défense. (Y recourir) est construit autour de ce qu’on appelle la frappe en représailles: si on nous frappe, on frappe en réponse» avait expliqué Poutine. Avant de compléter: «Nous ne sommes pas devenus fous, nous savons ce que sont les armes nucléaires». Moscou a aussi démenti ces derniers l’annonce américaine selon laquelle la Russie préparerait une bombe nucléaire spatiale. Sur ce plan, rien de neuf donc.
Poutine dénonce la faiblesse occidentale: son obsession
«Ils ne se rendent pas compte de tout cela, n’est-ce pas? Ce sont des gens […] qui ont déjà oublié ce qu’est la guerre. Même notre génération actuelle a traversé de dures épreuves lors de la lutte contre le terrorisme international dans le Caucase». Cette phrase est de la pure propagande et elle est le produit de l’obsession anti-occidentale d’un président russe convaincu de la décadence des pays de l’Ouest. Là aussi, rien de neuf. Vladimir Poutine, comme beaucoup de formations nationales populistes européennes influencées par Moscou, juge que la force de la Russie est la capacité de résistance infinie de son peuple. En face, c’est-à-dire dans nos pays, l’argent, le goût de la vie facile, l’influence du mouvement LGBT conduit selon lui à la désagrégation de notre identité. C’est précisément en réponse à ce type d’assertion que les Européens répètent à chaque fois qu’ils aideront l’Ukraine «jusqu’au bout». C’est aussi en anticipation d’un tel discours qu’Emmanuel Macron a, lundi 26 février, brisé le tabou du possible envoi futur de troupes européennes en Ukraine. Faibles les Occidentaux? C’est à nous d’y répondre.
Poutine dit que la Russie avance en Ukraine: c’est vrai
«Les capacités militaires des forces armées (russes) ont été multipliées. Elles avancent avec assurance dans plusieurs directions du front». Ce qu’a dit Vladimir Poutine dans son discours de la nation est juste. Mais il faut remettre ces mots dans leur contexte géographique et militaire. Cela fait deux ans que la puissante armée russe assiège l’Ukraine. Elle a subi un échec autour de Kiev. Elle a dû abandonner, fin 2022, la plupart de ses positions avancées pour se replier dans les territoires contrôlés auparavant par les séparatistes pro-Russes. Elle a essuyé de très sérieuses défaites en mer Noire, avec le naufrage du croiseur Moskva en avril 2023, et celui du navire de débarquement Cesar Kunikov le 14 février. Le commerce maritime à d’ailleurs repris avec à destination de l’Ukraine. Alors oui, la pression terrestre exercée par les forces russes est aujourd’hui maximale, dans les régions de Kharkiv, Bakhmout ou Avdiivka. Mais la vraie question est celle des lignes de défense ukrainiennes. Sont-elles capables de tenir jusqu’à l’arrivée des armes et des munitions occidentales promises pour 2024? Jusque-là, selon Volodymyr Zelensky, seul un tiers est parvenu en Ukraine.
Poutine dit que les États-Unis veulent battre la Russie: juste
Ce n’est pas une menace, mais il faut l’interpréter comme telle, lorsque Vladimir Poutine s’adresse ainsi dans son discours aux États-Unis: «Voici ce que je voudrais souligner: dans le cas présent, nous avons affaire à un Etat dont les cercles dirigeants agissent ouvertement et de manière hostile à notre égard. Et donc? Ils vont discuter sérieusement avec nous de questions de stabilité stratégique, tout en essayant d’infliger à la Russie, comme ils le disent eux-mêmes, une défaite stratégique sur le champ de bataille».
Pourquoi est-ce une menace adressée en particulier aux Européens? Parce que Poutine fait, de cette façon, porter aux alliés de l’Ukraine la responsabilité de l’extension du conflit. Poutine est maître en rapports de force et en mensonges. Il dit que l’Ukraine est une affaire intérieure de la Russie, ce qui est absolument faux car il s’agit d’une agression contre un pays aux frontières internationales reconnues. Son offre de dialogue est donc inacceptable en l’état: «Si vous voulez discuter de questions de sécurité et de stabilité qui sont importantes pour la planète entière, alors il est nécessaire de le faire uniquement dans un même ensemble, et bien sûr en incluant tous les aspects qui affectent nos intérêts nationaux, et qui ont un impact sur la sécurité de notre pays, la Russie» prétend le président russe. En clair: abandonnez l’Ukraine et nous parlerons. Le piège parfait auxquels les alliés de l’Ukraine répondent maintenant, en effet, par leur volonté de battre la Russie. C’est ce qu’a fait Emmanuel Macron le 26 février lorsqu’il a déclaré: «La défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe».
Poutine promet l’enfer aux soldats européens en Ukraine: logique
«Ils (les Occidentaux) ont parlé de la possibilité d’envoyer en Ukraine des contingents militaires occidentaux […] Nous nous souvenons du sort qu’ont subi ceux qui ont déjà envoyé leurs contingents sur le territoire de notre pays. Mais aujourd’hui, les conséquences pour les éventuelles interventions seront bien plus tragiques». C’est la réponse directe de Vladimir Poutine à Emmanuel Macron. Lequel, il faut le redire, n’a jamais parlé d’envoyer des troupes combattantes en Ukraine, après avoir en plus reconnu qu’il n’y a pas de consensus dans ce pays en guerre sur l’envoi de forces, quelles qu’elles soient.
Là, Poutine joue sur du velours en invoquant l’histoire et les terribles défaites que furent les aventures de Napoléon 1er (1812) et Adolf Hitler (1941-1943) en Russie. Le point à retenir de son discours est que l’envoi de soldats occidentaux en Ukraine s’apparente, selon Poutine, à l’envoi de troupes sur le sol russe. Il réduit donc à néant, par avance, l’argument des Européens qui prétendent qu’une telle action n’équivaudrait toujours pas à une guerre ouverte contre la Russie.