Ne jouons pas sur les mots. Robert Fico, vainqueur des législatives en Slovaquie ce samedi 30 septembre, est le symptôme d’une Europe qui commence à tourner le dos à l’Ukraine en guerre. Cet ancien premier ministre, contraint de démissionner en 2018 de la tête du gouvernement après le meurtre du journaliste d’investigation Jan Kuciak (employé du groupe Ringier, éditeur de Blick), a mis la main sur le pire éteignoir populaire: celui qui a toujours plongé les peuples, à un moment, dans la nuit de l’égoïsme et du défaitisme.
L’attrait du gaz russe
C’est ainsi. La Russie de Vladimir Poutine garde, pour toute une partie de l’opinion publique européenne, des attraits et des atouts. Son gaz pas cher et abondant fait rêver des foyers étranglés par l’inflation à l’approche de l’hiver. Sa capacité à venir à bout en quelques semaines de la rébellion initiée par le groupe Wagner le conforte dans sa posture de «parrain» redoutable qui préférera toujours semer la mort que lâcher prise. Pour un petit pays très dépendant sur le plan énergétique comme la Slovaquie, l’affaire est donc entendue: pas question de mettre en danger ma sécurité pour celle des Ukrainiens, ces turbulents voisins…
Cette leçon doit être retenue telle qu’elle est. Sans jugement moral. Sans même chercher à déterrer les ramifications affairistes et mafieuses qui, dans le passé, caractérisaient les gouvernements slovaques dirigés par Robert Fico. La fatigue de la guerre est une donnée de base lorsqu’un conflit s’installe dans la durée. Elle est encore plus attendue lorsque le sort du pays agressé dépend de soutiens extérieurs et d’une alliance, l’OTAN, qui a d’emblée écarté toute intervention directe. Voilà les États-Unis, eux-mêmes en proie au doute en pleine crise du «shutdown», pris à leur propre piège. Le bouclier de l’Alliance Atlantique protège la Hongrie, la Slovaquie, la Pologne et tous ceux qui commencent à remettre en cause le soutien à l’Ukraine. Il permet à ses membres, en toute sécurité, de faire le jeu de l’ennemi qui est en face, à Moscou.
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Vladimir Poutine l’a toujours pensé: les démocraties occidentales sont trop vénales et trop peu prêtes au sacrifice pour résister aux cyber-assauts de ses trolls, à ses agents d’influence et à sa froide détermination de dictateur prêt à sacrifier des dizaines de milliers de jeunes Russes pour sa folie nationaliste. Or voilà que les faits, peut-être, commencent à lui donner raison à moins d’un an des élections européennes de juin 2024. La manière dont la Pologne, où le parti au pouvoir fait tout pour être reconduit à l’issue des élections du 15 octobre, s’est mise à blâmer les agriculteurs ukrainiens et à bloquer, comme la Slovaquie, les importations de céréales venues d’Ukraine n’a qu’un but électoral. Mais si ce parti Droit et Justice (PIS) est réélu, la brèche sera ouverte. Et la preuve sera faite qu’une partie des Européens n’acceptent plus sans ciller d’aider l’Ukraine «aussi longtemps que cela sera nécessaire».
Pas seulement un clone d’Orbán
Robert Fico n’est pas seulement un clone de Viktor Orbán, le premier ministre hongrois pro-Poutine qui l’a aussitôt félicité. Il est le miroir d’une peur compréhensible de payer trop cher le prix d’un conflit qui n’est pas le sien. Une peur injuste. Cynique. Mais aussi logique. L’urgence est donc, pour tous les démocrates convaincus à juste titre que la Russie d’aujourd’hui est un danger, de redoubler de persuasion et d’ardeur dans deux directions: assurer les électeurs sur le fait que l’Ukraine ne gaspille pas l’aide européenne dans une quelconque surenchère guerrière, et leur redire haut et fort que ce conflit, ses souffrances et son chaos n’ont qu’un responsable: un dirigeant criminel nommé Vladimir Poutine.