Vladimir Poutine a remporté les élections législatives en Slovaquie. Ce raccourci n’est pas complètement faux. Vainqueur du scrutin samedi 30 septembre, l’ancien Premier ministre Robert Fico et son parti national populiste Smer-SD n’auraient sans doute pas connu ce succès s’ils n’avaient pas entonné une rhétorique anti-Ukraine presque calquée sur celle du Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Avec, dans leur viseur, l'opposition à toute aide militaire à Kiev, et une promesse de veto à l'entrée de ce pays dans l'OTAN, l'Alliance atlantique.
La Slovaquie, pays de 5,4 millions d’habitants indépendant depuis le 1er janvier 1993 et la dissolution de la Tchécoslovaquie, a la particularité d’avoir, comme la Hongrie, une frontière terrestre avec l’Ukraine. Autre réalité qui pèse lourd: l’ancien communiste Robert Fico, âgé de 59 ans, a travaillé durant ses jeunes années pour le ministère de la Justice tchécoslovaque, alors que la désagrégation de l’Union soviétique approchait et que la «perestroïka» de Michaël Gorbatchev faisait craindre le pire aux hiérarques du bloc communiste.
Viktor Orban félicite à Robert Fico sur X
En bref: l’homme a un passé d’apparatchik qu’il n’a jamais rejeté. Son national-populisme n'est pas de droite nationaliste, mais de gauche ouvriériste, ce qui ne change rien aux résultats. Lors de son premier passage à la tête du pays, entre 2006 et 2010, au moment où la guerre en Géorgie ébranlait l’est du continent européen, il n’avait pas hésité à renforcer ses liens avec la Serbie et avec la Russie.
Pas une victoire écrasante
La victoire qu’il vient de remporter dans les urnes n’est pas écrasante, mais elle a fait mentir tous les sondages, y compris ceux réalisés à la sortie des urnes, preuve du soutien dont il dispose dans les campagnes. Avec 23,3% des suffrages, son parti arrive en tête, mais il devra composer et constituer une alliance, tout en tenant compte d’une entrave institutionnelle: le rôle joué par la présidente slovaque Zusana Kaputova, une avocate proeuropéenne élue en 2019 après avoir mené une campagne féroce contre la corruption, après le meurtre du journaliste Jan Kuciak, employé par les publications du groupe Ringier (éditeur de Blick) dans ce pays dominé par quelques oligarques.
C’est l’assassinat de ce reporter et de sa compagne qui avait entraîné, en 2018, la fin du second gouvernement dirigé par Robert Fico. Celui-ci avait été accusé d’avoir laissé proliférer la mafia, et d’avoir profité des subsides de conglomérats proches de la Russie. Il avait ensuite perdu les élections législatives de 2020 après de multiples révélations sur sa proximité avec le commanditaire du meurtre, un homme d’affaires relaxé par la justice à l’issue du procès en mai dernier.
Le riche homme d’affaires slovaque Marian Kocner n’a pas été condamné, faute de preuves, alors que sa complice présumée Alena Zsuzsova a écopé de 25 ans de prison. La colère provoquée par ce verdict avait laissé croire à beaucoup d’observateurs que Robert Fico ne parviendrait pas à remonter la pente politique.
Le risque d'être marginalisé
Et maintenant? La grande question est de savoir si le parti Smer-SD pourra constituer un gouvernement et, ensuite, stopper l’aide à l’Ukraine, comme il l’a promis durant sa campagne électorale. Avec, s’il devait le faire, le risque que son pays se retrouve marginalisé, compte tenu de son poids très faible au sein de l’Union européenne dont il doit obligatoirement appliquer les onze paquets de sanctions économiques et financières contre Moscou, tous adoptés à l'unanimité. La question sera sans doute débattue cette semaine lors des deux sommets à venir en Espagne, à Grenade: celui de la Communauté politique européenne (en présence du président suisse Alain Berset) le 5 octobre et celui des dirigeants des 27 le lendemain.
Le destin de Roberto Fico pourra alors être celui d’un Viktor Orbán sans plateforme internationale, car son passé d’apparatchik proche du parti communiste ne lui permet guère de parader aux côtés des partis de droite dure européens, comme le fait le Premier ministre Hongrois. Lequel a, de nouveau, réuni les partis les plus réactionnaires du continent à Budapest, le 15 septembre, pour un «sommet démographique» consacré aux politiques natalistes.
«La guerre en Ukraine a commencé en 2014 lorsque des fascistes ukrainiens ont tué des victimes civiles de nationalité russe», avait récemment déclaré Robert Fico, parfaitement anglophone, mais jusque-là très discret dans les médias internationaux. «Il est de notre intérêt vital d’avoir de bonnes relations avec tous les pays du monde, y compris la Fédération de Russie.» Le vainqueur des législatives a aussi déclaré qu’il n’autoriserait pas l’arrestation du président russe Vladimir Poutine, poursuivi par un mandat délivré en mars 2023 par la Cour pénale internationale, s’il venait un jour en Slovaquie. Ce qui apparaît de toute façon impossible.