La formation des soldats ukrainiens en Occident est l'un des piliers centraux de la stratégie de l'OTAN pour soutenir le pays attaqué par la Russie. Mais quel est l'intérêt de retirer des combattants du front pour les former à des milliers de kilomètres de là, en Espagne, en Grande-Bretagne ou en Allemagne? Dans les lignes du journal «Le Monde», plusieurs Ukrainiens expriment leur mécontentement face aux stages de formation en Occident.
«Ici, c'est l'infanterie qui fait le travail seule, par petits groupes – nous ne pouvons pas du tout appliquer la stratégie de l'OTAN de cette manière. L'OTAN finira par comprendre», explique par exemple Ihor Stepanovitch, commandant adjoint d'une unité de mortiers sur le front de Bakhmout dans le Donbass. «Le soutien en munitions est bon, comme le ravitaillement, mais la ressource humaine fait défaut. On ne peut pas se permettre de se priver des soldats expérimentés en les envoyant se former aux nouvelles technologies et tactiques de combat», raconte-t-il.
Le commandant de bataillon Vadim met en garde contre le fait de sous-estimer l'ennemi, comme le fait souvent l'Occident: «La Russie n'a pas une armée faible, ils se sont adaptés très rapidement, ils ont un réservoir humain que nous n'avons pas et du matériel en abondance.» Il propose d'envoyer des hommes de l'OTAN sur le front pendant un mois. «Vous verrez que les choses changent tous les jours.»
A cela s'ajoute toujours, lors de la formation, la barrière de la langue. «La traduction était et reste un problème. Une fois, les instructeurs nous ont dit que nous devions faire attention à notre propre sécurité avant de penser aux blessés. Les traducteurs ukrainiens ont compris: 'Si vous avez des blessés, tuez-les pour votre sécurité'», se souvient Yeyhen, 24 ans, combattant également sur le front de Bakhmout, lors de sa formation en Grande-Bretagne en juillet 2022.
«Les activités à l'entraînement se limitaient à des mouvements d'infanterie sans tirs ennemis, sans grenades, sans champs de mines et sans tireurs d'élite, alors que c'est notre vie quotidienne sur le terrain», poursuit-il. Même la profondeur des tranchées était différente de celle du front. «Nous devions faire la différence entre les différents engins de guerre russes, sans qu'on nous dise comment réagir lorsqu'ils venaient vers nous». Yeyhen a donc cherché ses informations sur Youtube, aussi bien sur le maniement des nouvelles armes que sur la tactique.
Le déminage humanitaire est difficile sous les bombardements
Le sergent Vassil, 33 ans, opère sur le front de Donetsk. Il a passé 35 jours en Grande-Bretagne en mai et a coordonné la formation de 200 soldats en collaboration avec des responsables anglais et danois. «Je leur ai dit que les manuels de l'OTAN ne s'appliquaient pas à l'Ukraine, par exemple pour l'attaque des tranchées. Ils m'ont dit que tout avait été écrit à l'avance», rapporte-t-il.
Selon lui, il est arrivé à plusieurs reprises que les instructeurs utilisent Youtube pour trouver des solutions, notamment pour planifier des opérations ou régler des désaccords. Lorsque Vassil a demandé des exercices combinés avec l'utilisation de drones, on lui a répondu qu'ils n'étaient pas prévus – bien que les drones fassent partie du quotidien de la guerre. «Nous n'avons utilisé des drones qu'une seule fois pour observer nos manœuvres d'infanterie depuis le ciel», remarque Vassil. Il estime que «ce sont les pays qui ne se battent pas qui enseignent, ce devrait être l’inverse».