Un «moment historique». L’expression est de rigueur en France, et surtout en Corse, alors qu’Emmanuel Macron a proposé à l’île de Beauté une «autonomie qui soit ni contre l’Etat ni sans l’Etat» ce jeudi.
Le président français a-t-il ouvert la porte à une future indépendance de ce territoire de 340'000 habitants, cédé au Royaume de France par la République de Gènes en 1768? L’île qui vit naître Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon Ier, peut-elle se contenter d’une autonomie qui continuerait de lier son destin à la métropole? Ou s’agit-il d’une fuite en avant après la colère engendrée par le meurtre en prison, en mars 2022, du militant nationaliste Yvan Colonna, accusé d’avoir tué le préfet Claude Érignac le 6 février 1998? Premières réponses.
L’autonomie corse, un concept
Ce qu’Emmanuel Macron a proposé aux formations politiques insulaires devant l’Assemblée de Corse, ce 28 septembre 2023, n’est pas un chèque en blanc pour un statut d’autonomie déjà acté et prêt à l’emploi. C’est d’abord une question de principe que le président français a posé, avec pour objectif d’inscrire un futur statut dans la constitution. «Ayons l’audace de bâtir une autonomie à la Corse dans la République», a-t-il proposé, tout en affirmant aussitôt que «ce ne sera pas une autonomie contre l’État, ni une autonomie sans l’État».
Quels seront ses contours? Quelles seront les prérogatives insulaires? Le locataire de l’Élysée a donné «six mois» à ses interlocuteurs de l’Assemblée de Corse, contrôlée par les nationalistes depuis huit ans, pour s’entendre sur un texte «constitutionnel et organique». En clair: la bataille qui s’entame est d’abord conceptuelle. La répartition des pouvoirs entre Paris et Ajaccio, siège de l’assemblée de Corse, est loin d’être claire.
L’autonomie corse, copie de l’Outre-mer
La version maximale de l’autonomie corse serait de calquer celle-ci sur le statut réservé aux lointains territoires d’outre-mer (TOM) que sont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, dans le Pacifique. Cela veut dire que la spécificité administrative et politique de l’île de Beauté serait régie, comme celle des TOM, par l’article 74 de la Constitution.
Cet article spécifie que «les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République […] défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante». L’ordre public reste assuré dans ces territoires par la police nationale et la défense par l’armée Française. Des diplomates issus de Calédonie et des territoires du Pacifique sont en revanche déjà intégrés dans les ambassades de France dans les principaux pays de leur voisinage.
L’autonomie et l’indépendance, collision annoncée
Les nationalistes corses sont eux-mêmes divisés sur la nature d’un futur statut de l’île. Aux récentes Journées internationales de Corte, la réunion de toutes les formations politiques indépendantistes européennes au début août, une question dominait tous les débats: «L’autonomie est-elle un «piège» pour l’indépendance?»
Quelques jours après l'événement, le porte-parole de Corsica libera, Petr’Anto Tomasi, éclaircissait sa vision dans «Le Monde»: «L’autonomie peut être une étape vers la souveraineté à la double condition que vous en déterminiez vous-même le contenu et que vous n’y restiez pas enfermés longtemps». Son mouvement indépendantiste considère Paris comme le «maître des horloges». Il souhaite «créer les conditions d’un regroupement des forces patriotiques, prélude à un nouveau cycle de mobilisation populaire et de résistance». La collision est annoncée entre autonomie et indépendance.
L’autonomie et la violence, l’autre équation
Emmanuel Macron a pris un double risque en ouvrant le débat sur l’inscription d’une future autonomie de l’île dans la constitution. Le premier risque est politique, car les partis insulaires, s’ils ne parviennent pas à tomber d’accord dans les six mois, pourraient bien se retourner contre Paris et exiger davantage de concessions. C’est la stratégie de l’engrenage dont le Chef de l’État pourrait se retrouver prisonnier, au lieu d’en sortir.
Le second risque est celui de la violence. On sait qu’en Corse, la politique et les meurtres font malheureusement bon ménage. L’assassinat du préfet Claude Erignac en a été la preuve ultime en 1998. Désormais, il faudra en plus composer avec l’ombre de la mafia. Les nationalistes ont officiellement déposé les armes depuis 2014. Mais quid des groupes politico-mafieux, sur fond de trafics?
L’indépendance rejetée par les Corses
Qui veut l’indépendance de l’île? Le paradoxe est que le plus grand nombre de Français favorables à un divorce entre la Corse et le continent se trouvent en métropole où 4 personnes sur 10 (42%) l’approuvent selon un sondage de l’institut CSA en mars 2022. 27% des personnes interrogées se disaient «plutôt pour» une indépendance de la Corse, et 15% indiquaient être «totalement pour». Un autre sondage réalisé par l’IFOP montre que la perspective d’une indépendance de la Corse est majoritairement rejetée par l’opinion publique (60%) même si le nombre de partisans de l’indépendance a doublé en trente ans (35% en 2022 contre 18% en 1989). Surprise? Ces chiffres sont bien plus défavorables en Corse. Une autre enquête de l’IFOP, en 2008, avait montré que les insulaires interrogés sont 89% à rejeter l’indépendance, alors que la moitié affirmait soutenir la mouvance nationaliste. Autre indicateur à garder en tête: le score réalisé par la candidate nationale-populiste (et résolument hostile à l'autonomie) Marine Le Pen au second tour en avril 2022 en Corse: 58%. Largement devant Emmanuel Macron.