Actualité à 23.30 mardi 19 décembre:Le projet de loi sur l'immigration remanié après examen en Commission mixte paritaire a été finalement voté par l'Assemblée nationale par 349 voix contre 186, dont 90 voix des députés du Rassemblement National.
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C’est fait. C’est gagné. Emballé, c’est pesé. L’année politique 2023 s’achève, pour Marine Le Pen, sur une incontestable victoire. S’il est voté, dans la nuit de ce mardi 19 décembre, par les députés du Rassemblement national, le projet de loi sur l’immigration présenté par le gouvernement français portera la marque d’une droitisation inexorable sur ce sujet de société décisif, qui divise le pays.
Le texte, rappelons-le, a initialement été rejeté lundi 11 décembre par une courte majorité baroque de députés, allant de l’extrême-droite à la gauche radicale. Sa nouvelle mouture, sortie mardi matin d’une commission mixte paritaire (sept sénateurs et sept députés), est résolument répressive. Fin de partie. Le «en même temps» voulu par Emmanuel Macron pour faciliter d’un côté l’intégration des étrangers et durcir de l’autre le traitement des demandes d’asile, vient de mourir une nouvelle fois.
C’est gagné. Et de la manière qui fait le plus mal en politique: par une victoire symbolique. Au regard des législations en vigueur dans de nombreux pays européens, dont la Suisse, le nouveau projet de loi sur l’immigration français n’a rien d’abominable ou d’aberrant. Le fait qu’un étranger en situation régulière, selon ce texte, doive avoir cinq ans de résidence ou 30 mois d’activité professionnelle pour toucher les prestations familiales ou d’autres allocations ressemble à s’y méprendre aux règles en place dans des pays comme l’Allemagne ou le Danemark.
Prestations sociales
Rien de nouveau d’ailleurs, y compris en France: cela fait des années que des experts de gauche tirent le signal d’alarme et estiment que le système social français ne pouvait plus assumer sa générosité de façade pour les immigrés. Problème: le calendrier et les modalités d’adoption de ce nouveau texte sont un régal pour le Rassemblement national. La fin 2023 est donc marquée par la victoire des thèses du RN qui, depuis des décennies, exige une refonte du système et l’arrêt des prestations sociales pour les étrangers arrivés depuis peu. Le symbole est irréfutable: le Rassemblement national, qu’Emmanuel Macron affirme vouloir combattre, avait donc raison.
Droitisation du débat
C’est gagné parce que plus personne, sur le champ de bataille politique français, n’est aujourd’hui capable de tenir tête à cette droitisation du débat. La majorité relative de députés dont dispose Emmanuel Macron depuis les législatives de juin 2022 est elle-même divisée. La droite traditionnelle, sur laquelle Macron comptait tant pour constituer des «majorités de projet», a fait le choix de s’aligner sur les thèses du RN. Et, surtout, la gauche a explosé dans ses incantations.
La France Insoumise, première formation de gauche, n’a pas hésité à mêler ses voix à celles de l’extrême-droite pour voter la motion de rejet préalable du 11 décembre. L’alliance anti-Macron assiège l’Élysée. Gérald Darmanin, émule de Nicolas Sarkozy, n’a pas su incarner une alternative de droite alliée au centre. Marine Le Pen gagne parce que tous les autres ont perdu. La droite colle à ses flancs pour espérer sauver ses sièges. Le centre vote sans envie des textes clivants. La gauche se perd dans son opposition et ses divisions.
Diabolisation de l’immigration
C’est gagné, parce que l’immigration est diabolisée. C’est fait. C’est acquis. La France est présentée comme submergée par les flots d’étrangers. Là aussi, rien de surprenant si l’on regarde les autres pays européens. L’Italie voisine est dans le même cas. Il est vrai, en plus, que le système français d’accueil craque de partout. Le pire, en revanche, est que ce texte de loi ne réglera rien.
On sait que le durcissement des conditions de travail pour les étrangers, prévu par le nouveau projet de loi, ne changera rien au casse-tête que représente la présence de 600'000 à 900'000 clandestins en France. On sait que l’exécution des obligations de quitter le territoire (moins de 10%) n’augmentera pas de manière significative. Le Rassemblement national peut dès lors voter, tout en avertissant que cela ne suffira pas. C’est vrai. La bombe a explosé. Et 70% des personnes interrogées, selon les sondages, pensent désormais que l’immigration est l’un des premiers problèmes du pays.
Lois pas appliquées
C’est gagné pour le RN, parce que l’exploitation politique de l’immigration favorise toujours les extrêmes. La preuve avec le retour, dans le texte, de la déchéance de nationalité pour les auteurs de crimes… sans solution pour leur expulsion consécutive si les pays d’origine refusent de les reprendre. Toute une série de sujets – expulsions, régularisation des travailleurs, vérification du sérieux des visas étudiants – pouvaient être traités par d’autres moyens que la loi.
Plus grave: le sujet de l’aide médicale d’État, cette prise en charge médicale gratuite pour les étrangers, a été dissocié du projet de loi, car le gouvernement espère éviter ainsi sa réforme drastique demandée par la droite. On marchande sur la question des soins. On saucissonne un texte législatif. Ce ne sont pas les migrants qui minent nos sociétés. C’est l’incapacité de traiter ce sujet douloureux et essentiel pour notre avenir économique autrement que par la polémique.
Emmanuel Macron a perdu cette fin d’année 2023 sur une illusion: celle d’être encore le garant d’une vision nationale. Cette vision-là, sur l’immigration comme sur d’autres sujets, a cédé à la tentation des combines, de la communication et du refus d’admettre qu’avant d’être votées et remplacées, les lois doivent d’abord être appliquées.