Emmanuel Macron risque de faire cette nuit un mauvais rêve: celui d’être désormais transformé en président le dos au mur, comme ce fut le cas, en juillet, pour l’ex-Premier ministre néerlandais, son ami Mark Rutte. Incapable de réunir une majorité de députés autour d’une réforme des lois sur l’immigration, le chef du gouvernement des Pays-Bas avait présenté sa démission et ouvert la voie à des élections législatives anticipées. Lesquelles ont été, le 22 novembre, remportées par le parti d’extrême droite du tonitruant politicien anti-islam Geert Wilders.
Le rejet préalable, lundi 11 décembre, du texte de loi présenté par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin peut-il se transformer en bombe politique pour le second mandat du chef de l’État français? Réponse en cinq questions.
Le projet de loi sur l’immigration est-il mort?
En adoptant une motion de rejet préalable du texte par 270 voix contre 265, les députés ont en théorie mis fin à ce projet de loi que le Sénat avait pourtant adopté en première lecture le 14 novembre. Aucun des 2 600 amendements déposés ne sera débattu. Le gouvernement peut maintenant renvoyer le projet de loi au Sénat, le faire adopter par une commission paritaire composée de députés et de sénateurs, ou revenir à la charge avec un autre texte, par exemple sur quelques dispositions les moins controversées, comme le durcissement des conditions d'asile et la facilitation des reconduites à la frontière. Les groupes de la majorité à l’Assemblée nationale souhaitent d'ailleurs que ce texte ne soit pas retiré. L’idée centrale du ministre de l’Intérieur, à savoir lier le durcissement des conditions d’accueil en France à une régularisation partielle des travailleurs présents sur le territoire, a en revanche volé en éclats. Les 270 députés opposés au texte, de l’extrême droite qui le juge trop laxiste à la gauche radicale qui l'estime trop répressif, ont tué le fameux «en même temps» cher à Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron a-t-il subi une défaite?
Oui, et c’est une lourde défaite. Symbolique et politique. D’abord parce qu’elle confirme que le président ne parviendra pas, au long de son second mandat, à trouver une majorité alternative avec une partie de la droite, ce qui était son souhait pour poursuivre ses réformes. Ensuite parce que ce vote questionne son propre camp, puisque cinq députés de la majorité (relative) présidentielle ont renoncé à voter contre le rejet. La cheffe du gouvernement Élisabeth Borne et le ministre de l’Intérieur, en première ligne, sont clairement désavoués. Gérald Darmanin a proposé sa démission au président, qui l'a refusé. Pour l'heure, Macron semble espérer encore «une suite pour ce texte». Mais laquelle ?
L’immigration est-elle ingérable en France?
Non. Une bonne partie des critiques de ce projet de loi estimaient ainsi, depuis des semaines, qu’une application plus stricte de la dernière loi «Asile et immigration» du 10 septembre 2018 (portée par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, récemment décédé) permet de répondre au défi de l’augmentation des entrées dans le pays (131'254 demandes d’asile ont été formulées en 2022, soit 27% de plus qu’en 2021). Il faut aussi savoir que le nouveau paquet législatif de l’Union européenne sur la migration (présenté en 2020) est toujours en cours de finalisation. Le texte rejeté n’aurait donc pas réglé tous les problèmes, loin s’en faut. Reste une question majeure: comment arrêter les flux de migrants, accélérer le traitement des demandes d'asile, légaliser les migrants qui travaillent et renvoyer effectivement les personnes déboutées?
Et maintenant? Référendum, dissolution ou… rien?
Pour le président français, une telle consultation populaire reviendrait à prendre un risque politique colossal. S’il était désavoué, son départ anticipé de l’Élysée serait aussitôt réclamé par tous ses adversaires. Il faudrait aussi trouver la bonne question à poser aux électeurs, dans un pays plus déchiré que jamais. Autre option: dissoudre l’Assemblée nationale et demander au pays la majorité présidentielle qui fait aujourd’hui défaut. Sur le plan démocratique, ce serait logique. Pour Macron, la même question se poserait: que faire en cas de défaite?
Le pays peut-il se déchirer sur les migrants?
C’est un vrai risque. Le ras-le-bol d’une partie des Français devant l’incapacité de l’État à réguler les arrivées et à exécuter les «obligations de quitter le territoire» est de plus en plus palpable. Le Rassemblement national de Marine Le Pen n’a même plus besoin de brandir ses arguments. Une partie de la droite s’est ralliée à ses positions les plus intransigeantes. La gauche radicale et les écologistes, de leur côté, campent sur leur défense du «devoir de solidarité». Il faut aussi prendre en compte les sans-papiers eux-mêmes, qui revendiquent et demandent à être régularisés. Dans les grandes métropoles, leurs manifestations sont fréquentes. Le sujet est, après ce rejet, encore plus explosif. Et pas seulement à l’Assemblée nationale.