Gérald Darmanin peut toujours prétendre le contraire. Le ministre français de l’Intérieur peut toujours affirmer que son projet de loi sur l’immigration n’est pas mort, et que ses principales dispositions seront prochainement votées par le parlement, même s’il faut pour cela découper son texte en plusieurs morceaux. La vérité? Sur la gestion des migrants en France, l’extrême-droite a gagné. Une victoire politique indéniable et qui, en fait, est un double succès.
Quotas pour l'immigration économique
Premier succès: la présence dans le même texte de loi de renvois plus systématiques des migrants indésirables, et d’une régularisation de ceux qui travaillent est abandonnée. Le «en même temps» voulu par Emmanuel Macron a échoué. Si elle reprend, comme c’est probable, le texte voté par le Sénat le 14 novembre, la Commission mixe paritaire (sept députés et sept sénateurs) qui se réunit lundi 18 décembre validera un texte qui durcit toutes les conditions d’accueil et de traitement des migrants dès leur arrivée sur le sol français.
Il y aura des quotas pour l’immigration économique, une limitation du regroupement familial, le remplacement de l’aide médicale d’État par une aide médicale d’urgence et la mise en place d’un système d’expulsions quasi automatique des étrangers jugés dangereux. Bref, à droite toute!
La droite s’aligne sur l’extrême-droite
Second succès: la droite traditionnelle, celle qui est majoritaire au Sénat, a quasi épousé les thèses et les propositions du Rassemblement national (RN) sur l’immigration. La priorité est la fermeture des frontières, et l’exécution des fameuses «obligations de quitter le territoire français» (OQTF). «Le Rassemblement national est devenu le «trou noir» du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie et pliant l’espace-temps politique» note, dans un article pour le magazine en ligne Slate, le politologue Luc Rouban.
Et d’ajouter: «Les efforts de Gérald Darmanin pour convaincre ses alliés Les Républicains d’entrer dans le jeu du compromis ignorent le fait que le débat politique en France est désormais un débat entre les droites, un débat dans lequel la vraie question est de savoir s’il faut encore combattre le RN ou pas». Or, avec le vote des députés de droite et d’extrême-droite côte à côte, lundi 11 décembre, pour rejeter le projet de loi, l’affaire est entendue: la droite estime que le RN a raison sur l’immigration.
Un second vote? A voir…
Et maintenant? La possibilité d’un troisième succès pour le RN de Marine Le Pen se profile. Celui-ci sera au rendez-vous si le Rassemblement national torpille le projet gouvernemental de faire voter séparément les dispositions visant à régulariser les étrangers qui travaillent en France depuis huit mois, avec contrat à l’appui. Le gouvernement espère, en procédant ainsi, faire voter ce deuxième volet plus «libéral» par la majorité présidentielle, la gauche et les écologistes.
Sauf qu’un délai séparera l’adoption des deux textes et qu’entre-temps, le RN mènera sans doute campagne, tambour battant, pour refuser cette seconde partie du texte initial. S’il y parvient, le parti national populiste aura tout gagné. A quelques mois des élections européennes du 9 juin 2024…
En face, Emmanuel Macron manque d’atouts. Son gouvernement est sous pression. Le président de la République, en refusant de recourir à la procédure d’urgence de l’article 49.3, s’est interdit de passer en force comme il le fait sur les lois budgétaires. Son refus simultané d’une dissolution de l’Assemblée nationale fait que les députés les plus à gauche au sein de la majorité (relative) présidentielle n’ont pas peur de s’opposer à l’exécutif.
Les arguments du RN
L’extrême-droite française a, enfin, plusieurs arguments ultimes pour défendre un durcissement de la gestion migratoire.
Argument 1: les régularisations des étrangers travailleurs peuvent déjà être, en France, décidées par les préfets. A quoi bon aller plus loin?
Argument 2: Les demandes d’asile sont encore en hausse. Leur nombre avait augmenté de près de 14% entre janvier et septembre, avant l’explosion des arrivées sur l’île Italienne de Lampedusa. La théorie de «l’appel d’air» en cas de régularisation est donc redoutée.
Argument 3: Les obligations de quitter le territoire (après décision de justice) doivent d’autant plus être exécutées que le refus d’entrer en France a été déclaré illégal le 21 septembre par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Emmanuel Macron et Gérald Darmanin peuvent espérer contourner le rejet préalable de leur projet de loi, cinglante défaite politique. Ils sont en revanche dépourvus de moyens pour résister, sur le sujet de l’immigration, au rouleau compresseur de l’extrême droite.