C’est un duel politique plus que révélateur. Par plateaux télévisés et réseaux sociaux interposés, le bras de fer engagé par le ministre français de l’Intérieur avec l’actuel avant-centre de l’équipe saoudienne de football d’Al-Ittihad en dit long sur les ambitions du premier ministre, et sur la France de 2023.
Karim Benzema, puisqu’il s’agit de lui, est inexcusable. Avoir demandé à ses millions de fans de prier et de faire preuve de compassion pour les victimes palestiniennes de la bande de Gaza, sans un mot simultané pour les centaines de morts et de blessés israéliens, est accablant d’aveuglement. Ou de refus de voir. A moins, bien sûr, que ce joueur si talentueux et si incompris en France n’ait eu peur, en appuyant sur le bouton envoi de son compte X (ex-Twitter), de déplaire à son public saoudien et à son employeur. Lequel, selon les médias, le paie chaque année 200 millions d’euros. Mais c’est une autre histoire…
Gérald Darmanin, pour sa part, a atteint son objectif. Intensité de communication maximale, saturation de l’internet, tweets repris dans le monde entier compte tenu de la notoriété du Ballon d’or 2022: voici le ministre de l’Intérieur au centre de la scène, partout et toujours. Qu’importent les deux motions de censure de nouveau surmontées, vendredi 21 octobre, par la première ministre Élisabeth Borne, affairée à boucler le budget 2024 à coups d’article 49.3!
Une vie en politique
A 41 ans et toute une vie professionnelle déjà passée en politique, Darmanin prend la lumière. Darmanin occupe et quadrille le terrain. Il accuse (Benzema). Il promet (les expulsions d’étrangers radicalisés). Il prépare (le prochain projet de loi sur l’immigration attendu pour le début novembre). Il cultive (son réseau d’élus et de soutiens dans le Nord, sa terre familiale et politique). Il consulte (les experts du djihadisme). Il sermonne (la droite et l’extrême-droite). Il s’expose à l’international (via les discussions avec ses collègues européens).
Bref, Darmanin règne sur la République. Avec, comme évident modèle, celui auquel il ressemble tant: Nicolas Sarkozy, déjà rallié, dans son dernier livre, «Le temps des combats» (Ed. Observatoire) à la possible candidature présidentielle de son poulain en 2027
Le problème est qu’un candidat ne peut pas faire un bon ministre de l’Intérieur. Surtout dans des temps si troublés. Mener une campagne «à la Sarkozy» impose d’être sous les projecteurs en permanence, de verrouiller des cibles politiques pour exister, de courtiser à l’excès tous ceux qui pourront vous servir dans votre course à l’Élysée, de réunir une «firme» qui vous est dévouée corps et âme.
Être candidat est irréconciliable avec le retour d’un calme réparateur, et avec le besoin d’incarner un ordre Républicain qui soit au service de tous, et non d’une cause. Les Français, selon les sondages, ne s’y trompent d’ailleurs pas. Avant l’attentat d’Arras et l’explosion du Proche-Orient, leur opinion semblait faite: 55% des personnes interrogées lui préféraient le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal, très proche d’Emmanuel Macron. L’ancien maire de Tourcoing n’engrangeait, lui, que 28% d’opinions favorables. Plus Darmanin est en première ligne, plus il polarise et radicalise, au risque d’apparaître comme une copie du parti national-populiste de Marine Le Pen.
Bientôt, le projet de loi Immigration
A quelques semaines de la présentation du projet de loi sur l’immigration, dont le volet sécuritaire et expulsions forcées s’annonce comme le morceau de choix, l’affaire Benzema, enracinée dans le passé et le passif algérien des deux protagonistes, dit le risque d’une dérive vers le pugilat politique permanent. A fond la caisse sur le «Sarkodrome». Sauf que Nicolas Sarkozy se présentait en 2007, après douze ans de chiraquisme endormi.
Gérald Darmanin bouillonne, lui, sur le couvercle d’une France cocotte-minute.