Prendre l’argent là où il se trouve: en France, cette formule est répétée à l’envi. Presque tout le monde y croit: ajoutez des impôts, dans un pays où les prélèvements obligatoires atteignent déjà le taux record de 45,4% du produit intérieur brut annuel, et les milliards rentreront dans les caisses de l’État. Or voilà qu’un rapport très sérieux, publié par l’Observatoire européen de la fiscalité, relance le débat avec chiffres à l’appui.
Selon cette étude dirigée par l’économiste Gabriel Zucman, proche du spécialiste des inégalités Thomas Piketty, 1000 milliards de dollars sont encore aujourd’hui transférés dans des paradis fiscaux par les plus grandes multinationales, surtout américaines. Un chiffre à comparer aux 16'000 milliards de dollars de profits de ces grandes entreprises internationales en 2022.
Oui, l’évasion fiscale perdure
La France, toujours victime de l’évasion fiscale? La réponse donnée par ce rapport est oui. Mais les flux d’argent qui quittent le territoire ne sont plus les mêmes qu’avant. Jadis, c’est-à-dire avant l’instauration de l’échange automatique d’informations bancaires entre administrations fiscales (adopté par la Suisse en 2017, selon les standards de l’OCDE), le Trésor Public français perdait les impôts des riches particuliers. Ceux-ci, moyennant l’ouverture d’un compte non-résident en Belgique, en Suisse, au Luxembourg ou à Dubaï, faisaient disparaître leurs gains, ne déclarant qu’une partie de leurs revenus.
Bonne nouvelle selon l’Observatoire européen de la fiscalité: ces pratiques ont cessé. Finie l’époque des valises de billets entre Paris et Genève. Finis les comptes helvétiques comme celui de l’ex-ministre du budget Jérôme Cahuzac, condamné à quatre ans de prison pour évasion fiscale, et dont les frasques ont, entre autres, entraîné la création d’un Parquet national financier (PNF). Finie, en somme, l’époque qui vaut à UBS d’avoir écopé d’une amende de 1,8 milliard d’euros devant la Cour d’appel de Paris en décembre 2021 pour «blanchiment de fraude fiscale». La Banque sera, sur ce dossier, jugée en cassation le 15 novembre prochain.
Oui, finies ces années qui expliquent pourquoi, tous les jours, un Français toujours détenteur d’un compte en Suisse, David Fournie, fait le pied de grue devant le Sénat. Il réclame la régularisation d’un compte familial. Il est le vestige de cette histoire fiscale. Mais le problème est ailleurs: il réside, pour les particuliers, dans la recrudescence d’achats à l’étranger de biens immobiliers non déclarés (notamment à Dubaï).
Et il se trouve surtout du côté des multinationales qui continuent de profiter des niches et du labyrinthe fiscal européen grâce aux prix de transfert qui permettent de déplacer dans un autre pays les profits réalisés en France. 30% des profits des firmes américaines sont ainsi «exportés», hors de portée du radar fiscal français. L’évasion fiscale se cache aussi sous un autre nom: les exonérations d’impôts, par exemple pour investir dans les technologies vertes. Les directions financières des géants industriels profitent à plein de ces niches.
Nouvelle taxe
Résultat: Le fisc français réfléchit à compléter la taxe de 15% sur les revenus des sociétés, entrée en vigueur depuis 2021 sous l’égide de l'OCDE. D’abord en visant leurs profits de façon plus ciblée, et en limitant le recours aux transferts de bénéfices d’un pays européen à l’autre. Ensuite en ciblant leurs propriétaires, actionnaires et dirigeants.
Selon l’Observatoire européen de la fiscalité, les milliardaires ne paient quasiment pas d’impôts – 0% à 0,5% – sur leur patrimoine. D’où l’idée d’un retour de l’Impôt sur la fortune, réformé et transformé en taxe immobilière par Emmanuel Macron en décembre 2017. Selon le rapport, taxer 2% de la richesse des 2756 milliardaires de la planète (75 résidant en France), dont la fortune totale culmine à 13'000 milliards de dollars, rapporterait 250 milliards d’euros.
Problème: l’attractivité de la France pour les entreprises est au cœur de la présidence Macron. Reparler, en plein débat budgétaire et alors que la dette publique culmine à plus de 3000 milliards d’euros, de nouvelles mesures fiscales contraignantes reviendrait à pratiquer un «en même temps» peu apprécié des entrepreneurs et des grandes fortunes susceptibles d’investir dans l’hexagone.