On peut se parler franchement: la question européenne a disparu de l’horizon électoral helvétique. Vous me direz que j’exagère et mes amis du Mouvement européen (oui, ce sont des amis, et leur opiniâtreté mérite d’être saluée) vont immédiatement s’inscrire en faux.
Je connais déjà les arguments qui me seront opposés. Le débat sur les futurs accords bilatéraux avec l’Union européenne reprendra dès que les élections fédérales de ce dimanche 22 octobre seront derrière nous. Et comme souvent en Suisse, rien n’aura fondamentalement changé: l’intérêt économique dictera in fine, des deux côtés, l’issue des «négociations» dont le diplomate Alexandre Fasel a désormais la responsabilité pour la Confédération. Il faudra, disent les experts, sans doute patienter jusqu’en 2025 pour un résultat. L’essentiel étant, pour ne pas brusquer l’opinion, de rester discret…
Rafistolage permanent
Et bien tant pis pour ce beau scénario du rafistolage permanent! Ce dernier convient d'ailleurs tout à fait à Berne, où les simples mots «Union européenne» ressemblent à une grenade dégoupillée! Je vais mettre les pieds dans le plat. Quelle que soit l’issue des négociations à venir, avec en vue de possibles nouveaux accords bilatéraux, le spectacle donné par l’UE n’est pas de nature à remotiver quiconque.
Oui, la Suisse a, au beau milieu du continent, besoin de visibilité juridique et commerciale pour son commerce et pour ses entreprises. Et cela ira mieux avec un accès privilégié au marché européen. Oui, la Confédération ne peut plus rêver de s’affranchir de ses voisins en matière de sécurité et de géopolitique, comme l’a bien montré la décision d’appliquer les sanctions communautaires contre la Russie après l’agression du 24 février 2022 contre l’Ukraine. Oui, l’innovation, la recherche et les universités helvétiques, ont tout à gagner à réintégrer les programmes européens que le Royaume-uni, maintenant que la folie du Brexit s’estompe, vient de rejoindre à nouveau.
D’accord! Affaire conclue. Mais franchement, tout cela ressemble à une retraite organisée plus qu’à une offensive gagnée. Même l’UDC, foncièrement antieuropéenne, pourra presque signer au bas de la page dès demain…
L’UE ne va pas bien
Disons les choses comme elles sont. L’Union européenne ne va pas bien. Vladimir Poutine ne l’a pas fissuré comme il le désirait tant. Les 27 s’orientent vers des commandes d’armement communes. Ils adoptent encore des textes législatifs décisifs sur le numérique, face à la domination des GAFAM, les géants américains de l’internet. Ils tiennent bon sur la nécessité d’un «Green Deal» et de la transition vers une économie décarbonée que tant de politiciens et d’électeurs rêvent d’oublier. La boussole communautaire fixe toujours de bons caps.
Mais l’incapacité à affronter ensemble la question migratoire, l’épée de Damoclès constituée par l’élargissement futur aux Balkans et à l’Ukraine et l’impossible avancée vers une autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis sont autant d’indicateurs d’une paralysie de moins en moins surmontable. Logique, dans ces conditions, qu’un pays partenaire comme la Suisse préfère continuer avec sa relation «à la carte», en misant sur l’usure pour obtenir gain de cause!
La Pologne, l’espoir?
Je ne suis pas en train d’enterrer le projet européen, ni de contester l’extraordinaire apport de ce projet au continent et son utilité géopolitique face aux retours des Empires et aux colères du «Sud global». On voit bien, avec le résultat des récentes élections polonaises, que les résistances au vent national-populiste se manifestent heureusement dans cette tourmente mondiale.
Je dis juste qu’on ne peut pas reprocher aux électeurs helvétiques de se désintéresser d’un projet dont l’actualité, en Israël, démontre les évidentes limites en termes de puissance et d’efficacité. Il n’y a rien d’étonnant, dans les conditions actuelles, à ce que l’Europe, son avenir et ses mérites ne soient plus au fond des urnes suisses.