Impuissants. Et pris dans l’engrenage de l’horreur qui risque, chaque jour, de s’exporter sur leur continent, par le biais des attentats terroristes et des fractures entre communautés. Telle est la situation de la plupart des pays du Vieux Continent, à commencer par les 27 États membres de l’Union européenne, pourtant premier contributeur d’aide humanitaire aux Palestiniens, pour un montant de 1,2 milliards d’euros entre 2020 et 2024.
Cette réalité diplomatique a été soulignée crûment par la visite en Israël d’Ursula von der Leyen le 14 octobre, suivie d’une conférence de presse commune avec le premier ministre Benyamin Netanyahu. La présidente allemande de la Commission a dû s’expliquer, mercredi 18 octobre, devant le parlement européen à Strasbourg.
Elle avait été «recadrée» la veille par plusieurs Chefs d’État ou de gouvernement lors d’un sommet en visioconférence. De quoi alimenter l’idée d’une Europe prise au piège du Proche-Orient, avant le sommet Etats-Unis/Union européenne prévu ce vendredi à Washington, où Joe Biden recevra Mme von der Leyen et le président du Conseil européen (le représentant des États membres) Charles Michel.
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Faut-il s’en étonner? Non. D’abord, c’est évident, en raison du poids de l’histoire et de la Shoah qui pèsent très lourdement sur un pays tel que l’Allemagne. Mercredi 18 octobre, le Chancelier Olaf Scholz s’est d’ailleurs à son tour rendu à Tel Aviv, où il a assuré l’État hébreu de son soutien sans faille face au Hamas. «La sécurité d’Israël et de ses citoyennes et citoyens est une raison d’État pour l’Allemagne» a expliqué celui-ci, en ajoutant: «Notre responsabilité issue de l’Holocauste nous donne pour mission de nous engager pour l’existence et la sécurité de l’État […] Le droit international donne à Israël le droit de se défendre contre cette terreur».
Le calendrier a son importance. Ce voyage intervenait 24 heures après le sommet européen, dont la déclaration finale du 17 octobre affirme que l’UE «demeure attachée à une paix durable et pérenne reposant sur une solution fondée sur la coexistence de deux États, une nouvelle impulsion devant être donnée à cet effet aux efforts déployés dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient et au dialogue avec les autorités palestiniennes légitimes». Le fossé entre la réalité et les souhaits est évident.
La partie diplomatique est perdue
Deuxième raison de cette impuissance: les Européens ont perdu la partie diplomatique dans le monde arabe. Même un pays comme la France, réputée pour avoir une «politique arabe» n’y est plus audible. Et ce pour trois raisons.
La première est la totale dépendance énergétique dans laquelle les Européens se trouvent depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’arrêt des importations d’hydrocarbures en provenance de Russie. Ce qui rend incontournable les livraisons de gaz Qatari ou Azerbaïdjanais, et de pétrole saoudien.
La seconde est l’incapacité des Européens à agir comme médiateurs humanitaires à Gaza, tant que la frontière à Rafah reste fermée. La preuve: la mission d’assistance de l’UE dans cette ville frontalière (EUBAM Rafah) est depuis le début de la crise totalement silencieuse et invisible.
Troisième écueil enfin: l’impossibilité pour les pays arabes d’accepter l’Union comme médiatrice alors qu’en son sein, des pays comme la Suède tolèrent qu’on brûle le Coran devant des mosquées. Les querelles en France autour de la laïcité sont aussi très répercutées au Moyen-Orient.
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La Suisse a-t-elle lâchée l'affaire?
Le monde a changé. La Suisse en subit aussi les conséquences. La preuve: le silence total de la communauté internationale autour de ce qui demeure l'ultime tentative de formuler une paix durable à deux États: l’Initiative de Genève de décembre 2003. La Confédération elle-même a admis que ce texte n’était plus valide, et a pris ses distances en août 2023 en cessant de financer les efforts pour la maintenir en vie, jugeant que «le moment est venu d’adopter une autre approche plus innovante et plus efficace».
Laquelle? Peut-on estimer encore possible une médiation helvétique alors que le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a annoncé en 2022 le déplacement de ses activités de coopération pour les Palestiniens de Jérusalem-Est à Ramallah? Le manque de soutien des pays arabes et l’obstination des gouvernements israéliens successifs à considérer ce texte issu de la société civile, ont fini par le tuer.
Et maintenant?
Les divisions entre les 27 lors du sommet européen de mardi sont assurées d’émerger de nouveau les 25 et 26 octobre, lorsque leurs dirigeants se retrouveront à Bruxelles. «Premier partenaire d’Israël sur le plan commercial, mais aussi premier donateur au monde pour l’aide humanitaire aux Palestiniens, l’UE pourrait peser sur les deux parties. Encore faudrait-il le vouloir et, surtout, savoir quoi faire?» tranche un diplomate en poste dans la capitale belge.
Les répercussions terroristes du conflit sur le sol européen, en Belgique et en France, font le reste. L’impuissance des Européens se double désormais d’une obsession: être aspirés par un conflit dont les protagonistes connaissent par cœur la vulnérabilité des pays du Vieux Continent, à huit mois des élections européennes du 6 au 9 juin 2024.