Bruxelles est accusée
Expulser les musulmans radicalisés: l'Europe le dos au mur

Comment gérer les résidents étrangers musulmans radicalisés qui séjournent dans les pays de l'espace Schengen, parfois en situation irrégulière? Ce jeudi 19 octobre, les ministres de la Justice de l'UE vont en débattre dans l'urgence.
Publié: 19.10.2023 à 09:00 heures
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Dernière mise à jour: 19.10.2023 à 15:20 heures
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D’après le parquet fédéral belge, la «motivation probable» de l'assassin de deux Suédois était la nationalité des victimes, après les autodafés du Coran à Stockholm.
Photo: Screenshot X
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Richard WerlyJournaliste Blick

Gérald Darmanin attaque. Pour le ministre français de l’Intérieur, l’heure est venue. Après l’assassinat d’un enseignant à Arras vendredi 13 octobre, il est temps de passer à l’acte et d’expulser du territoire de l’espace Schengen (dont la Suisse est membre) tous les étrangers musulmans radicalisés dont la dangerosité est établie, comme le sont en France les fichés «S».

C’est cette priorité que Paris veut pousser ce jeudi 19 octobre, lors de la réunion des ministres de la Justice et de l’Intérieur des 27 pays de l’UE et de leurs partenaires Schengen. La Conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider sera sur place à Luxembourg. Coïncidence dramatique: la réunion au Grand-Duché interviendra pile au moment des funérailles de Dominique Bernard, le professeur qui a perdu la vie au lycée Gambetta d’Arras. Le président Emmanuel Macron sera présent.

Expulsions automatiques?

Expulser automatiquement tous les étrangers musulmans radicalisés fichés par les autorités: c’est ce que le gouvernement français veut faire entrer dans la loi lors de l’examen d’un nouveau projet législatif qui débutera au Sénat le 6 novembre. Est-ce possible actuellement? Non. La France, comme les autres pays membres du Conseil de l’Europe, dont émane la Cour européenne des droits de l’homme (c’est le cas de la Suisse), ne peut pas renvoyer dans son pays un étranger qui serait soumis à «des traitements inhumains ou dégradants».

La jurisprudence de la très contestée CEDH précise que cette interdiction d’expulsion vaut «même en cas de danger public menaçant la vie de la nation et y compris dans l’hypothèse où le requérant a eu des liens avec une organisation terroriste». En clair: il est possible d’incarcérer un suspect, puis de le maintenir en détention provisoire. Mais pas de l’expulser de force s’il s’y oppose. Une régulation que plusieurs pays européens contournent en administrant des sédatifs aux clandestins qu’ils souhaitent rapatrier dans leurs pays, comme en Italie.

En images, Gérald Darmanin et les expulsions des «fichés S»

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La question juridique est complexe. Elle concerne, encore une fois, les 46 pays membres du Conseil de l’Europe – dont la Suisse. Et le cas du meurtrier d’Arras est emblématique. Âgé de 20 ans, fiché «S» et convoqué la veille du meurtre par les policiers, Mohamed M., originaire d’Ingouchie, est titulaire d’un passeport russe. Mais il ne pouvait pas être expulsé: il est arrivé en France avant l’âge de treize ans. C’est cette disposition que Gérald Darmanin veut abroger. Paris affirme avoir par ailleurs pris langue avec la Russie pour le renvoyer depuis le 13 octobre, malgré le froid polaire qui règne entre les deux pays à cause de la guerre en Ukraine.

Haine de la France

Expulser de force ce jeune homme radicalisé, qui a pourtant affirmé sa haine de la France et de la démocratie devant les enquêteurs, bute toutefois sur trois obstacles. Le premier? Cela pourrait en théorie le mener à une condamnation à mort dans son pays.

Deuxième problème: son passage à l’acte n’a pas été repéré par les services de renseignement qui le suivaient cependant étroitement. Faut-il donc plutôt modifier les règles de surveillance, ou envisager un éloignement territorial systématique des fichés «S», au lieu de les laisser, comme Mohammed M., vivre dans l’environnement familial où ils se sont radicalisés?

Troisième écueil: selon le gouvernement, les préfets français ont fait remonter à Paris plus de 3000 noms d’étrangers radicalisés dangereux ces dernières 48 heures. Parmi eux, 193 sont déjà l’objet d’une obligation de quitter le territoire – les fameuses OQTF. Imaginer trois mille expulsions est hors d’atteinte. «C’est démagogique et très inquiétant» réagit un diplomate en poste à Bruxelles. Dernière remarque enfin: le risque de rétorsion terroriste en cas d'expulsion forcée. Un élément à ne pas négliger.

Soit. Mais le public, lui, ne comprend pas. Ni en France, ni ailleurs. Ne pas expulser un individu dangereux en raison de la jurisprudence d’une Cour supranationale composée de juges de différents pays, tous nommés par le pouvoir politique, est impossible à justifier. Le ministère français de l’Intérieur veut donc créer une OQTF à l’encontre d’une personne relevant des catégories protégées dans le cas où «son comportement constitue une menace grave pour l’ordre public».

Grand flou du côté de l’UE

Et du côté de l’Union européenne et de l’espace Schengen? Là, le grand flou est de règle malgré la nomination en mars 2022 d’une coordinatrice des retours. Anneli Juritsch est chargée de mettre en place un système européen de retour «efficace et commun, fondé sur des piliers juridiques, opérationnels et de gouvernance plus solides, en coopération avec et entre les États membres». Cette fonctionnaire finlandaise opérait auparavant au sein de l’agence Frontex de protection des frontières extérieures, dont fait partie la Suisse.

L’Europe est donc le dos au mur en matière d’expulsions des étrangers jugés dangereux, d’autant que les désaccords demeurent sur le «pacte asile et migration». Début octobre, à Grenade (Espagne), la Pologne et la Hongrie ont de nouveau refusé d’approuver ce plan, estimant que l’immigration ne peut être correctement gérée qu’au niveau national. Gérald Darmanin, avec sa proposition, ne dit pas autre chose.

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