Les images sont à la fois solennelles et glaçantes. Ce lundi 16 octobre à 14 heures, une minute de silence suivi d’un temps de recueillement et d’échanges ont été organisés dans tous les établissements scolaires de France. Objectif? Rendre hommage à deux victimes emblématiques du terrorisme: Dominique Bernard, enseignant tué à coups de couteau à Arras (Pas-de-Calais) vendredi 13 octobre, et Samuel Paty, professeur décapité le 16 octobre 2020 en région parisienne. Le premier sera inhumé jeudi 19 octobre, en présence d'Emmanuel Macron.
Les deux enseignants ont péri sous les coups de jeunes terroristes musulmans radicalisés originaires du Caucase. Aussitôt, le niveau «urgence attentat» a été réinstauré. Faut-il avoir peur de se rendre en France? Voici cinq questions à se poser.
La France est-elle en danger?
La réponse est oui. A titre de comparaison, la Suisse fait beaucoup moins l’objet de menaces que son voisin, pour d’évidentes raisons. La première est l’existence en France de réseaux djihadistes avérés. Environ 5000 individus y sont fichés S pour «sûreté de l’État», pour leur radicalisation. Plusieurs centaines d’entre eux sont des étrangers, et le ministre de l’Intérieur a demandé l’expulsion immédiate de 180 d'entre eux, «considérés comme dangereux». 70 tentatives d’attentats ont été déjouées ces trois dernières années, selon Emmanuel Macron.
Notre avis: Les services de renseignement et de police fonctionnent. L’attentat d’Arras, de la part d’un individu suivi de près par les services de police, était imparable. Deux couteaux. Une absence de communications téléphoniques suspectes. Un comportement sans problème jusqu’au passage à l’acte. Parvenir à organiser des attentats massifs, en pleine mobilisation policière pour la Coupe du monde de rugby, serait beaucoup plus compliqué.
Peut-on voyager en France sans risque?
Contactés, les responsables de la société franco-suisse Lyria qui exploite les liaisons ferroviaires entre les deux pays dit «n’avoir pas noté» un nombre d’annulations supérieur à la moyenne depuis l’attentat qui a coûté la vie à l’enseignant d’Arras. Pas d’annulation non plus du côté des hôteliers suisses à Paris. Pas de notice d’alerte du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ou de l’ambassade helvétique à Paris (son site internet met en valeur le périple à vélo de l’ambassadeur à travers la France)
Pour l’heure, aucun incident majeur n’a été déploré dans le cadre de la Coupe du monde de rugby, malgré la présence de fanzones au cœur des métropoles (Place de la Concorde à Paris). Le niveau «urgence attentat» a entraîné mécaniquement la remobilisation de 7000 soldats de l’opération Sentinelle, qui patrouillent dans les grandes villes.
Notre avis: Les services de renseignement estiment que le principal risque d’actes terroristes vise les institutions et les forces de l’ordre. Dans le cas du lycée d’Arras, l’enquête devra déterminer si le tueur a été poussé à l’acte par l’assaut du Hamas, ou par l’anniversaire macabre de la décapitation de Samuel Paty.
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Des filières islamistes restent-elles actives?
Là aussi, la réponse est oui. L’expression «loup solitaire» parfois utilisée pour désigner le tueur d’Arras, un jeune homme radicalisé originaire d’Ingouchie (Caucase), fiché S, titulaire d’un passeport russe et dûment surveillé, n’est pas adéquate. La nébuleuse islamiste fanatique demeure active. Des filières, comme celles du Caucase moins connues des services de renseignement, n’ont sans doute pas été complètement démantelées.
La question est surtout celle ces moyens mis en œuvre: l’expulsion des étrangers demandée par le ministre de l’Intérieur est très compliquée à mettre en œuvre, surtout avec des pays tels que la Russie. Leur détention préventive, et leur éloignement forcé de leurs régions de domicile, est au moins indispensable.
Notre avis: Les services de renseignement français sont surchargés. La surveillance électronique et téléphonique a ses limites. Les visiteurs étrangers, et les touristes, sont-ils en revanche des cibles? Jusque-là, cela n’a jamais été le cas. Les évacuations, samedi, du Louvre et du château de Versailles étaient des fausses alertes.
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La France subit-elle le conflit en Israël?
Oui, et sans doute plus que ses voisins, puisque le pays abrite à la fois la plus importante communauté musulmane et juive d’Europe (six à sept millions, contre 600'000). S’y ajoute le climat de radicalité ambiant, comme le prouve la controverse engendrée par le refus de La France insoumise, le parti de Jean-Luc Mélenchon, de désigner le Hamas comme un groupe terroriste.
L’interdiction des manifestations pro-palestiniennes décrétée la semaine dernière a, pour l’heure, calmé le jeu en surface, mais elle n’est pas tenable. Ceux qui envisagent de visiter la France ces prochains jours doivent donc accepter cette évidence: la République laïque, facturée sur la question israélienne, est bousculée par le nouveau conflit au Proche-Orient.
Notre avis: Le pire serait de museler tous ceux qui souhaitent défendre la cause palestinienne légitime, car alors, les groupuscules extrémistes musulmans auraient du grain à moudre pour leur propagande. L’heure, après la solidarité avec Israël, est de calmer le jeu en veillant à poursuivre les actes intolérables d’antisémitisme, et en surveillant les réseaux sociaux.
Le climat de violence français est-il contagieux?
Il suffit de regarder les images en provenance de tous les pays d’Europe, dont la Suisse. La cause palestinienne a rassemblé samedi des dizaines de milliers de personnes. Ce qui se passe en France n’a pas besoin d’être contagieux. Partout, le choc entre communautés arabes et juives est programmé si l’intervention militaire israélienne à Gaza est déclenchée, et qu’elle fait de très nombreuses victimes civiles.
Le président américain Joe Biden lui-même a déconseillé à l’État hébreu d’occuper Gaza. Oui, ce qui se passe en France peut s’exporter. Mais pas à cause de la France. En raison du conflit en cours.
Notre avis: Chaque visiteur désireux de se rendre en France devrait passer un moment sur les réseaux sociaux, en particulier TikTok, très influent au sein de la jeunesse. Les Suisses pourront voir que les polémiques françaises agitent aussi la (présumée) tranquille Suisse numérique. Ce sont les réseaux qui connectent en priorité la violence d’un pays à l’autre. Ils sont aussi les maillons de la chaîne du pire.