Commentaire de Richard Werly
En France, l'interdiction des manifestations pro-Palestine n'est pas tenable

L'interdiction des manifestations pro-palestiniennes peut se comprendre dans l'urgence. Mais à moyen terme, elle n'est pas tenable dans une République laïque logiquement bousculée par le chaos du Proche-Orient.
Publié: 16.10.2023 à 10:23 heures
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Conférence de presse de Gérald Darmanin au ministère de l'Intérieur après l' attaque au couteau ayant couté la vie à un enseignant le 13 octobre 2023 à Arras.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Défendre la cause palestinienne, et soutenir un État palestinien digne de ce nom, est-ce en passe de devenir un délit en France? Juridiquement, la réponse est non. La liberté d’expression, encadrée par la loi, demeure entière. Mais après plusieurs jours d’interdiction des manifestations pro-palestiniennes dans le pays – par crainte d’un regain d’antisémitisme et de violences entre communautés – la question est en train de déferler sur les réseaux sociaux.

Impossible, pour qui garde un œil sur Facebook, Tik Tok ou Twitter, de ne pas constater la propension accélérée à l’amalgame: une partie de la population française, notamment au sein des six à sept millions de musulmans, estime être aujourd’hui injustement privée de parole. Avec tout ce que cela entraîne de théories complotistes sur une présumée complaisance des autorités et des médias traditionnels envers l’État hébreu…

Ces faits et ce ressenti peuvent bien sûr être écartés, à court terme, au nom de la sécurité nationale, après le meurtre d’un enseignant à Arras (Pas-de-Calais), vendredi 13 octobre par un jeune radicalisé. L’interdiction de manifester peut aussi apparaître politiquement justifiée, trois ans pile après l’assassinat du professeur Samuel Paty, ce 16 octobre 2020, et alors que les actes antisémites, sous forme de graffitis, d’insultes, voire de menaces, ont proliféré de façon très inquiétante ces derniers jours.

Mais croire que le couvercle policier peut durablement suffire est illusoire. Les autorités italiennes, en regrettant cette interdiction, ont posé une bonne question. Si la République laïque s’estime solide, et si le «bouclier républicain» tel qu’évoqué par Emmanuel Macron existe, le droit de manifester doit être défendu. A la fois pour ceux qui souhaitent exprimer leur soutien à Israël, comme cela a été le cas dans de nombreuses villes après l’assaut terroriste du Hamas le 7 octobre. Et pour ceux qui, à la veille d’une intervention militaire de Tsahal à Gaza veulent attirer l’attention sur le sort de centaines de milliers de civils palestiniens.

Gare à la géométrie variable

Encadrer des manifestants dans une période de conflit au Proche-Orient est bien sûr très compliqué. Identifier les auteurs d’actes antisémites, pour les poursuivre en justice comme il se doit, est aussi une tâche ardue. Éviter les débordements, en pleine phase finale de la coupe du monde de Rugby, est enfin une tâche herculéenne pour des forces de police épuisées par les convulsions successives de ce pays toujours inflammable. Tout cela est vrai. Le pire serait toutefois que, dans cette France où vivent les plus importantes communautés musulmanes et juives d’Europe, les appels à l’unité nationale soient perçus comme à géométrie variable.

Des manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu ailleurs en Europe, y compris en Suisse. C’est à leurs organisateurs, d’abord, de bannir partout l’antisémitisme, les slogans «A mort Israël» et le soutien au terrorisme, car ils sont les pires visages de la cause qu’ils prétendent défendre. C’est aux gouvernements, ensuite, de faire respecter la loi avec une absolue intransigeance. Mais le droit de manifester pour la Palestine doit être sauvegardé dans nos démocraties. Faute de quoi le sentiment d’humiliation et de discrimination continuera de prospérer. Et d’alimenter le cycle infernal de rancœurs et de violence.

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