Nous l’avions écrit et répété dans notre série d’articles consacrés à la Pologne, avant les élections législatives de ce dimanche 16 octobre. Une nouvelle victoire électorale du PIS, le parti «Droit et Justice» au pouvoir depuis 2015, aurait immanquablement entraîné une accélération nationale-populiste, et une confrontation XXL avec la Commission européenne.
Beaucoup de jeunes Polonais de Varsovie, à la veille du scrutin, nous avaient exprimé leurs inquiétudes. Ils redoutaient une vague ultra-conservatrice venue des zones rurales, et le succès du PIS, porté par la bonne santé économique du pays depuis plusieurs années.
Or ce scénario n’a pas eu lieu. C’est même l’inverse qui s’est produit. La coalition civique de l’ancien Premier ministre Donald Tusk, qui rassemble trois partis pro-européens, devrait empocher 248 sièges sur les 460 députés de la Diète, l’équivalent du Conseil national suisse. Une majorité suffisante pour gouverner et renverser la vapeur législative sur des sujets comme l’avortement. Les résultats officiels seront annoncés mardi.
Depuis début 2021, toute interruption volontaire de grossesse est interdite en Pologne, sauf en cas de viol ou d’inceste ou lorsque la vie de la mère est en danger. Des manifestations monstres de protestation ont eu lieu dans les grandes métropoles du pays ces dernières années contre ce retour en arrière, adoubé par la puissante Église catholique.
Notre série sur la Pologne
Le plus frappant est le taux de participation d’une part, et le contraste entre le vainqueur et le vaincu de dimanche d’autre part. 72,9 % des 29 millions électeurs polonais ont voté, le taux le plus élevé depuis la chute du communisme en 1989! La preuve est donc faite qu’une partie du pays s’est réveillée et a dit «non» au choc national-populiste que le PIS rêvait de poursuivre et d’intensifier.
Pourquoi? D’abord parce que l’affrontement avec la Commission de Bruxelles autour de l’indépendance de la justice prive la Pologne d’environ 35 milliards d’euros de subventions et de prêts, aujourd’hui bloqués en raison des atteintes à l’État de droit.
Ensuite parce que plusieurs affaires ont émaillé et éclaboussé le parti au pouvoir dans la dernière ligne droite de la campagne: scandales dans l’attribution frauduleuse de visas, controverse sur la décision du gouvernement d’interrompre les couloirs de transit pour les céréales ukrainiennes (source d'importations illégalles) afin de courtiser le vote paysan… Malgré la bonne santé économique du pays, le premier ministre Mateusz Morawiecki s’est retrouvé sur la défensive. Sa promesse de rétablir la peine de mort, son obsession de l'immigration africaine et musulmane (le pays a accueilli des millions d'Ukrainiens), ses attaques contre l'Allemagne ont fini par fracturer l'opinion.
Le duel Tusk-Kascynski
La seconde leçon de ce scrutin est le duel entre Donald Tusk, 66 ans, leader de la coalition civique victorieuse, et Jaroslaw Kascynski, 74 ans, inspirateur et chef du PIS.
Le premier, ancien chef du gouvernement et président du Conseil européen (2014-2019), a su apparaître comme l’homme d’une modernisation européenne d’un pays devenu désormais un géant du continent. Point fort: l’opposition de Tusk à la Russie de Vladimir Poutine lui a permis de ne pas apparaître comme faible et moins nationaliste.
Le vote des jeunes et des femmes a fait la différence. Jaroslaw Kascynski, pour sa part, n’a pas su proposer de projet nouveau au-delà des confrontations avec Bruxelles, et de son alignement forcené sur les États-Unis en matière de sécurité.
Centre de gravité
Deux hommes. Deux projets. La Pologne a donné, ce dimanche, une belle leçon de démocratie. Le parti national-populiste, fort de 37% des suffrages, y reste une force politique majeure et il pourra d’autant plus rester influent que le président de la République, Andrzej Duda, est issu de ses rangs. Il disposera d'un droit de veto.
On dit que le centre de gravité géopolitique de l’Union européenne se trouve désormais à Varsovie, sur fond de guerre en Ukraine. Avec cette élection, et compte tenu des liens étroits entre Kiev et Varsovie, ce grand basculement oriental de l’Union va, dans tous les cas, se poursuivre.