Smolensk. L’évocation de ce seul nom résume le destin politique de Jaroslaw Kascynski, le leader du parti au pouvoir en Pologne depuis 2015, donné favori pour les élections législatives de ce dimanche 15 octobre.
Le 10 avril 2010, un avion officiel de l’armée de l’air polonaise s’apprête à atterrir sur l’aéroport de cette ville russe, symbole de la seconde guerre mondiale. A l’intérieur, le président Polonais Lech Kascynski, accompagné de son épouse et de plusieurs généraux, se prépare à une journée éprouvante. Il s’agit de commémorer le 70e anniversaire du massacre de Katyn, qui vit, durant l’été 1940, plusieurs milliers d’officiers et soldats polonais être tués par le NKVD (l’ancêtre du KGB) et l’armée rouge de Joseph Staline.
Pour le très nationaliste chef de l’État, la Russie doit reconnaître les crimes de l’ex-URSS. Pour lui, la Pologne, pays martyr, est d’abord une victime. Sauf que la cérémonie n’aura jamais lieu. L’avion, pris dans un épais brouillard, s’écrase dans la forêt après avoir heurté la cime des arbres qui ceinturent l’aéroport. Smolensk, ou l’autre drame fondateur de la main mise des frères Kascynski sur le pouvoir à Varsovie.
Jaroslaw Kascynski, l’homme qui refuse de débattre
L’homme – qui espère, dimanche, remporter les élections législatives – est le sosie du président décédé. Jaroslaw Kascynski, 74 ans, idéologue du parti «Droit et Justice», est à la fois vice-Premier ministre sortant et chef incontournable de la majorité. Pour lui, le monde est simple, du moins lors de ses prises de paroles publiques. La Pologne et ses 38 millions d’habitants, «travailleurs et catholiques» doivent cesser de subir. Plus question de courber l’échine devant la riche Allemagne voisine, qui y a massivement délocalisé ses industries dans les années 1990-2000.
Pas question non plus d’accepter de renoncer à certaines réformes sociétales et politico-judiciaires pour obtenir les dizaines de milliards d’euros que l’Union européenne déverse chaque année dans le pays, au titre des «fonds structurels». Jaroslaw Kascynski veut une Pologne forte, capable de résister à la Russie qu’il considère comme une «éternelle menace». Et cette force, pour lui, ne peut venir que de l’alliance entre l’Église catholique et l’Etat, en bridant l’indépendance des juges.
Septuagénaire célibataire
Parler, à Varsovie, de ce septuagénaire célibataire, qui vit encore officiellement chez sa mère avec ses chats, revient à ouvrir une redoutable boîte de pandore politique. Dans la capitale polonaise, le frère survivant est souvent présenté comme un manipulateur hors pair, un homme de l’ombre dont la vocation était d’épauler Lech, son jumeau élu président en 2005, au second tour, avec 54% des voix.
Seulement voilà: Smolensk ne lui a pas laissé le choix. Le Tupolev en flammes sonne le glas de la fratrie, entrée en politique aux côtés de Lech Walesa au sein du syndicat Solidarnosc, le mouvement social qui s’opposa au communisme. Jaroslaw fait alors le choix de remplacer son frère. Erreur.
Battu à la présidentielle de 2005, il devra attendre dix ans avant de revenir avec (presque) les pleins pouvoirs. «La défense acharnée de la souveraineté polonaise et l’accent mis sur les valeurs catholiques traditionnelles leur ont valu le soutien de la Pologne rurale, mais ont suscité une vive opposition de la part de nombreux électeurs plus jeunes et urbains» note alors la BBC. Un programme mis en œuvre depuis la victoire du PIS, le parti Droit et justice, aux législatives de 2015.
Et maintenant? «A 74 ans, Jaroslaw Kaczynski dévoile-t-il enfin son vrai visage?» interroge Le Monde. Omniprésent sur la scène politique polonaise depuis la fin des années 1980, chef d’orchestre des atteintes à l’Etat de droit et aux valeurs européennes depuis 2015, le leader populiste a toujours cultivé une importante part de mystère. Il déroule son programme: l’Union européenne «hostile» à la Pologne, «l’impérialisme allemand renaissant, l’opposition démocratique au service de puissances étrangères, l’intolérance face aux identités de genre».
Chaque meeting, souvent dans les villes moyennes de la Pologne rurale, est ponctué de la même phrase: «Selon les Allemands, il est inenvisageable qu’un Polonais soit en première classe. Ça fait partie de la mentalité de ce peuple». Avec, de temps à autre, des sorties du genre: «Le thème patriotique est aussi important, l’Ukraine est un bon exemple pour nos jeunes. Certains devraient ressentir une certaine honte, car là-bas, les jeunes montrent vraiment qu’on peut être un héros […] un chevalier. […] Je voudrais qu’en Pologne, il y ait le plus possible de chevaliers.»
Non à Poutine
Non à Poutine, le «diable» russe, héritier de l’Union Soviétique détestée. Non à la Commission européenne, cette institution aux services des intérêts franco-allemands. Oui à l’Ukraine, à condition que ses exportations de céréales ne fassent pas concurrence aux fermiers polonais. Le tout, sur fond de gaffes, et de scandales.
Au pouvoir, le PIS tire les ficelles pour ses intérêts propres. La forte croissance économique de la Pologne lui permet de masquer ses irrégularités. Le sentiment nationaliste ancré dans les régions, dopé par le rejet de l’immigration permet de contrebalancer les manifestations massives de femmes contre la restriction de l’avortement ou la main mise du clergé sur les questions de mœurs.
Jaroslaw Kascynski a boudé le débat entre chefs de partis avant le scrutin de dimanche. Il n’en a cure. Il pense que la modernisation accélérée des infrastructures de son pays est allée plus vite que l’évolution des mentalités, dans un pays marqué par l’exode vers louest de millions de jeunes polonais. Et que cette contradiction sert son parti «Droit et Justice».