La France est le pays de l’Affaire Dreyfus. Il faut toujours s’en souvenir: entre décembre 1894, date de la dégradation, de la condamnation et de la déportation au bagne du capitaine Alfred Dreyfus, officier juif de l’armée française, et sa réhabilitation en juillet 1906, douze années d’effroyables divisions ont secoué la Troisième République.
Pourquoi parler de cette affaire en pleine guerre entre Hamas et Israël? Parce que l’homme qui, en France, se retrouve accusé d’antisémitisme est un passionné d’histoire, et que son talent d’orateur le rapproche des grands ténors républicains. Jean-Luc Mélenchon, 72 ans, est-il antisémite? La question fait très mal, au-delà de la personne du candidat à la présidentielle 2022, éliminé de justesse au premier tour avec 22% des voix. Or, elle est maintenant posée en public. Et pas par n’importe qui: par la présidente de l’Assemblée nationale en personne, Yaël Braun-Pivet!
Pourquoi une telle accusation? A cause d’un tweet de Jean-Luc Mélenchon, mais bien sûr aussi à cause de son attitude depuis l’assaut terroriste des commandos du Hamas sur Israël, samedi 7 octobre à l’aube. Le tweet en question date de dimanche 22 octobre. Il a été posté sur le réseau X/Twitter à 16h49 et comptabilise à ce jour plus de dix millions de vues. L’image? La vidéo d’une nouvelle manifestation à Paris, Place de la République, après la levée de l’interdiction de manifester pour la cause palestinienne dans la capitale par le tribunal administratif. Le texte: «Voici la France. Pendant ce temps Madame Braun-Pivet campe à Tel-Aviv pour encourager le massacre. Pas au nom du peuple français!»
Le tir verbal est direct: Jean-Luc Mélenchon dénonce ainsi le voyage d’une journée effectué à Tel-Aviv par la présidente de l’Assemblée nationale, figure de la majorité présidentielle. Et ce tir s’accompagne d’un verbe explosif: «camper», avec les quatre lettres du mot «camp». Suivi du mot «massacre».
Depuis, le combat politique est engagé. D’origine juive par son grand-père venu de Pologne, mais «non croyante» de son propre aveu, Yaël Braun-Pivet, 52 ans, a poussé la polémique encore plus haut en accusant le fondateur de «La France Insoumise» de lui «mettre un cible dans le dos», référence aux accusations et aux menaces dont elle est l’objet pour son soutien à l’État d’Israël, à l’unisson de celui affiché par Emmanuel Macron.
Mais c’est bien sûr avec le verbe «camper» que tout s’enflamme. Homme de mots, féru de littérature et d’histoire, Jean-Luc Mélenchon l’a-t-il utilisé sans songer aux camps de concentration, ou aux camps de regroupement qui, en France, accueillirent les juifs durant la seconde guerre mondiale avant leur extermination par les nazis? Lui dénonce en réponse une «absurde police des mots». Sans rien retirer au fond. Sans prononcer d’excuses. Et en refusant toujours, comme il le fait depuis le début de cette guerre, de désigner le Hamas comme un groupe terroriste. Ce lundi, la cheffe du groupe de députés «La France Insoumise», Mathilde Panot, a réitéré la même ligne lors du débat dans l'hémicycle sur la situation au Proche-Orient.
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L’arrière-plan de cette polémique est un pays où, effectivement, le feu de l’antisémitisme couve. Et où, parallèlement, la cause palestinienne est revenue sur le devant de la scène, comme jamais ces dernières années. Près de 200 élèves vont ainsi être convoqués devant le conseil de discipline de leurs établissements scolaires pour avoir perturbé, lundi 16 octobre, l’hommage rendu à l’enseignant d’Arras assassiné par un djihadiste.
Les actes et les slogans antisémites sont de plus en plus nombreux. Dix personnes ont été interpellées par la police lors de la manifestation de la Place de la République, pour propos antisémites et tags sur la statue. Les 30'000 protestataires ont défilé sans violence. Mais les slogans disent la colère: «Israël assassin, Macron complice», «Nous sommes tous des Palestiniens», «Enfants de Gaza, enfants de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine», «Gaza, Gaza, Paris est avec toi»…
Le dos au mur
Jean-Luc Mélenchon, déjà lâché par une partie de ses alliés à gauche, se retrouve donc le dos au mur. «Camper» sera peut-être le mot qui a tout fait dérailler., même si l'homme politique se nie vigoureusement les intentions qui lui sont prétées. La présidente de l’Assemblée nationale (où le leader de LFI ne siège plus depuis 2022) envisage de porter plainte. On se souvient, l’histoire toujours, que le leader d’extrême droite Jean-Marie Le Pen avait été dénoncé par l’ensemble de la classe politique pour ses propos tenus en 1987 sur les camps de concentration, «détail» de la seconde guerre mondiale.
L’antisémitisme et la République? Il suffit, pour comprendre l’enjeu de cette querelle, de relire le texte «J’accuse» d’Émile Zola, publié le 13 janvier 1898 et considéré comme le moment de basculement de l’opinion en faveur de Dreyfus: «C’est un crime d’avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu’on ourdit soi-même l’impudent complot d’imposer l’erreur, devant le monde entier. C’est un crime d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie jusqu’à la faire délirer. C’est un crime d’empoisonner les petits et les humbles, d’exaspérer les passions de réaction et d’intolérance, en s’abritant derrière l’odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l’homme mourra, si elle n’en est pas guérie.»
A chacun, dans ce débat, d’en tirer la leçon.