Ils ne veulent plus être des cibles. Ils n’en peuvent plus d’être «tirés comme des lapins» par des voyous surarmés et très bien renseignés sur les allées et venues des détenus. Les surveillants pénitentiaires français sont en colère depuis la mort de deux d’entre eux, le capitaine pénitentiaire Fabrice Moello et le surveillant brigadier Arnaud Garcia, le 14 mai au péage d’Incarville, en Normandie. Ils l’ont redit lors de l’hommage national qu’a prononcé pour ces deux hommes le Premier ministre Gabriel Attal, mercredi 22 mai, dans la cour de la principale prison de Caen.
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Le scénario de l’attaque survenue au péage d’Incarville dit tout. A l’intérieur du fourgon pénitentiaire et de la voiture d’accompagnement se trouvait un détenu, Mohamed Amra, 30 ans, surnommé La Mouche, plusieurs fois condamné pour de petits délits et inculpé dans une affaire de règlements de compte entre trafiquants de drogue à Marseille. Bloqué à la sortie du péage par une première voiture conduite par les gangsters, le fourgon a immédiatement été canardé à l’arme lourde. Pas de sommation. Aucune chance d’en réchapper pour les gardiens.
Quel était l’objectif de cette embuscade? S’agissait-il de libérer ce détenu qui avait précédemment tenté de scier les barreaux de sa cellule? Ou était-ce un assaut pour s’emparer de lui et l’éliminer, car il en savait trop et qu’il risquait de «passer à table» devant le juge d’instruction qui allait l’auditionner ?
Prisons mal contrôlées
Les surveillants pénitentiaires l’ont répété depuis dix jours. Ils ont de plus en plus de mal à contrôler les prisons où la drogue et les téléphones portables circulent. Ils comptent, en leur sein, des taupes payées grassement par les trafiquants. La corruption mine leur sécurité. Ils sont suivis jusqu’à leur domicile. Idem pour les 390 policiers lancés aux trousses du fugitif. Ils se plaignent du manque de moyens.
Ils exigent la création d’un super service de police comme la Drug Enforcement Agency aux États-Unis, qui dépend du ministère de la Justice. Ils veulent la mise en place d’un statut de protection des témoins, comme cela existe outre-Atlantique. Ils exigent l’entrée en vigueur rapide du nouveau statut de repenti proposé par le garde des Sceaux, l’ancien avocat Éric Dupond-Moretti.
Un parquet spécialisé
Le modèle des gardiens de prison français et des flics de l’OFAST, l’agence antidrogue de la police française, est ce qui se passe aux États-Unis. Le budget de la seule DEA, là-bas, est de 2,5 milliards de dollars pour 2024, soit 1/5e du budget du ministère français de la Justice. Les surveillants pénitentiaires réclament aussi des armes lourdes pour les transferts et le recours bien plus fréquent à la visioconférence pour éviter de tomber dans des traquenards. La proposition d’un parquet spécialisé dans la criminalité organisée, qui n’existe pas encore en France, est aussi l’une de leurs revendications.
Avec la création d’un nouveau statut de repenti, un complice qui donnerait des informations permettant de démanteler des réseaux criminels verrait sa peine révisée et serait protégé par la police. Il changerait d’identité. Il pourrait même être exfiltré à l’étranger. Une nécessité car l’actuel statut de repenti en France ne fonctionne pas. Seules 42 personnes et leurs proches font partie du programme depuis sa création il y a dix ans. Autre exigence enfin: la saisie des biens des narcotrafiquants. «Consoles de jeux, robots de cuisine, vêtements de marque, chaussures de luxe… Le panel des saisies est très large. Il faut aller encore plus loin», a réclamé la récente commission d’enquête parlementaire du Sénat sur le trafic de stupéfiants dont le rapport vient d’être rendu public.
Cinq milliards par an
Le chiffre d’affaires généré en France par le trafic de stupéfiants est estimé entre 3 et 5 milliards d’euros par an. Mais sur ces sommes, seuls 17,1 millions d’euros ont été récupérés par l’administration en 2022, et seulement 14,4 millions l’année précédente. «Cette disproportion ne manque pas de nous interroger et pose un certain nombre de questions sur l’effectivité des dispositifs qui existent actuellement», ont relevé ses responsables devant les sénateurs.
Créée en 2010, l’Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), emploie une centaine d’agents chargés de gérer les biens – liquidités, objets, patrimoine immobilier – saisis par la justice dans le cadre des procédures pénales ouvertes contre la délinquance et le crime organisé. Ils ont été mobilisés en 2023 sur plus de 30'000 affaires, pour une recette d’environ 90 millions d’euros.