Personne n’en doute: l’attaque contre le fourgon pénitentiaire qui transportait un caïd de trente ans, Mohamed Amra dit «la mouche», est un nouveau coup d’éclat des «Narcos», la mafia française du trafic de drogue.
Et cette fois, la coïncidence fait mal, très mal. Deux agents pénitentiaires qui escortaient le criminel, qui était attendu par un juge d’instruction à Rouen, ont été tués à l’arme lourde au moment même où la commission d’enquête du Sénat français sur le narcotrafic rendait son rapport explosif.
Plus de 400 pages de rapport
Plus de 400 pages, résultat de près de 150 auditions d’experts et de plusieurs déplacements sur le terrain, notamment à Marseille où 49 personnes ont été tuées en 2023 lors de règlements de comptes entre trafiquants. Impossible de continuer à fermer les yeux. C’est bien une pieuvre lourdement armée, et riche des 3,5 milliards d’euros générés par le trafic de stupéfiants chaque année, qui menace la France.
Comme la «Mocro mafia aux Pays-Bas», où la famille royale a dû exfiltrer la princesse Catharina-Amalia pour étudier à l’étranger, afin de la soustraire aux menaces de mort du clan d’un des trafiquants d’origine marocaine les plus redoutés du pays: Ridouan Taghi, 46 ans, actuellement incarcéré.
Trafic et corruption
Le rapport du Sénat avance des pistes qui, toutes, font ressembler la France aux pays d’Amérique latine submergés par le trafic de drogue. Les Sénateurs proposent un super-parquet contre la criminalité organisée, comme l’a déjà envisagé le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti.
Ils demandent la création d’une force antidrogue à la fois judiciaire et dotée de pouvoirs extraterritoriaux, comme la Drug Enforcement Agency (DEA) Américaine. Ils s’alarment des «failles qui nuisent à la réponse de l’État, depuis le positionnement international de la France jusqu’aux moyens dédiés aux services de terrain, en passant par les sujets de coordination entre acteurs, de procédure pénale et de lutte contre le blanchiment».
Bref, il faut agir, réclament les parlementaires. Et pas seulement à travers les opérations «Place nette XXL» menées par la police depuis la fin mars.
Des saisies dérisoires
«Place nette XXL»? L’expression est d’ailleurs malheureuse. Certes, le bilan chiffré fourni par le ministère de l’Intérieur est flatteur. 87 interventions, 20 unités de forces de police mobilisées, 41 raids menés par des unités d’élite comme le Raid (police) ou le GIGN (Gendarmerie). 6500 personnes contrôlées. 19 saisies d’armes.
Mais le montant financier des saisies, lui, est dérisoire: 50’000 euros en liquide seulement! Et onze kilos de stupéfiants interceptés. La réalité, montrée par les chaînes de télévision et les images de résidents des quartiers postés sur les réseaux sociaux, est que les dealers reprennent vite le contrôle des points de deal.
Le problème est aussi pénal. Fin avril, 54 personnes seulement ont été déférées devant un juge, dont 22 en comparution immédiate. Mais avec quel résultat? Les sénateurs tirent à vue sur la communication XXL du gouvernement. Son plan anti-drogue en préparation est jugé «famélique» et «pas à la hauteur des enjeux».
Réalité et fiction
Quel rapport entre ce rapport sénatorial, le futur plan gouvernemental, les opérations «Place nette XXL» et l’attaque du fourgon pénitentiaire de ce mardi 14 mai? Il démontre que les trafiquants ont repoussé toutes les limites.
L’attaque à l’arme lourde s’est déroulée sur l’autoroute A154 en Normandie. Le véhicule de l’administration pénitentiaire a été pris d’assaut par des hommes armés à bord d’une Audi A3 blanche, retrouvée ensuite brûlée, tout comme un second véhicule utilisé pour l’attaque.
Une méthode bien rodée, basée sur une démonstration de force implacable. Mais aussi, sans doute, sur des renseignements très précis obtenus grâce à l’argent de la drogue. Car la corruption règne. Elle est l’autre dominante du rapport des Sénateurs. Elle est, selon eux, une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation, notamment la corruption dite – à tort – de «basse intensité».
En clair: les douaniers, les surveillants de prison, les policiers sont la cible de menaces et de rackets. Ces maillons du filet sont devenus trop fragiles pour résister. Les «Narcos» en France? Plusieurs séries ont déjà exploité ce filon du grand banditisme. Désormais, la réalité dépasse malheureusement la fiction.