Shamseddine est-il mort pour avoir «osé» draguer une fille de son quartier? Dans ces banlieues difficiles du sud de Paris, du côté de Viry-Châtillon ou Grigny, à proximité de l’aéroport d’Orly, cela peut vous valoir une bastonnade. Shamseddine, lui, a payé son audace amoureuse de sa vie. Il avait 15 ans. Il est mort, roué de coups jeudi 4 avril, près de son collège Les Sablons, non loin de l’autoroute qui relie la capitale au sud de la France. Pourquoi? C’est ce que les enquêteurs vont devoir déterminer.
Pour l’heure, une certitude: sur les quatre jeunes interpellés par les policiers, deux sont les frères d’une fille avec laquelle Shamseddine échangeait des sms. Pour dire quoi? Le contenu des messages n’a pas été divulgué par le procureur, mais la formule utilisée ne laisse guère de doute. Il s’agissait «de sujets relatifs à la sexualité». En clair: peut-être des sms sexy, de plus en plus rituels entre adolescents habitués dès leurs jeunes années à accéder à la pornographie sur internet.
L'adolescent avait bonne réputation
Problème: ces SMS allaient trop loin pour les frères de l’intéressée, qui s’était auto-attribués le rôle de protecteurs. Ils la surveillaient. Pas question qu’elle ne leur demande pas l’autorisation de flirter avec ce garçon dont la réputation était bonne dans le collège. «Pas envie, ou pas le courage: dans cette cité comme dans d’autres quartiers difficiles, les filles préfèrent se taire. Pour éviter les embrouilles. Pour se faire oublier. Pour tracer leur route comme elles l’entendent, silhouettes anonymes dans leur dédale de béton grisâtre» racontait il y a vingt ans l’hebdomadaire l’Express. Or depuis, rien n’a changé: «Les jeunes filles de banlieue sont-elles abandonnées à leur triste sort par la société française?»
Le récit de la tragédie
Le récit de la tragédie de Viry-Châtillon, raconté par RTL, fait froid dans le dos: «Ils n’ont pas supporté que Shamseddine flirte avec leur sœur par messages et parle de sexualité. Ils ont donc organisé le passage à tabac du collégien. L’un des frères a 20 ans, il est connu des autorités pour des délits liés aux stupéfiants tandis que l’autre n’en a que 17 ans et a été condamné l’an dernier pour des violences en réunion. Pour leur prêter main-forte dans leur guet-apens, ils ont fait appel à deux de leurs amis, âgés de 17 ans. Si l’un d’entre eux n’est pas connu de la police, l’autre a été reconnu coupable d’extorsion en 2023.» En clair: des grands frères délinquants. Et la jeune fille? Elle aussi a été interpellée. Son identité reste pour l’heure protégée. Était-elle Juliette et son prince charmant Roméo? Il est bien trop tôt pour le dire.
Une autre version n’est pas exclue par les enquêteurs: celle du guet-apens, d’une opération de racket dont la jeune fille aurait été complice. Si la jeune fille n’a pas participé activement au passage à tabac mortel, elle semble avoir été au courant du projet de ses frères. Elle n’a, cependant, pas été mise en examen. Un cas assez fréquent, même si la sociologue Stéphanie Rubi s’insurge contre ces stéréotypes: «La misogynie est présentée comme étant inéluctable et essentielle, c’est-à-dire faisant l’essence des jeunes hommes des quartiers prioritaires. C’est la figure du «garçon arabe qui est mise en avant et qui permet de cristalliser de multiples peurs et fantasmes. Il y a aussi le personnage de la jeune fille délinquante qui fait subsister le fantasme séculaire d’une dualité de la femme, «mi-ange, mi-démon».
Gare aux caricatures
Juste. Gare aux caricatures. Reste que, dans les quartiers, les grands frères règnent: «La réalité est celle montrée par les images lors des émeutes de banlieue de 2023 note le quotidien La Croix. De nombreux jeunes adolescents ont participé aux violences urbaines qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin 2023. Les parents – souvent des mères célibataires – manquent de soutien de la part des pouvoirs publics. Les garçons prennent le dessus».
Que s’est-il passé dans le cas de Shamseddine, ce garçon «jovial, qui participait à la vie de l’établissement et apportait de la joie de vivre»? «Craignant pour la réputation de leur famille, ils avaient enjoint à plusieurs garçons de ne plus entrer en contact avec leur sœur a expliqué le procureur à propos des jeunes interpellés. Ils avaient appris que Shamseddine se vantait de pouvoir librement parler avec elle.» Roméo a peut-être, à Viry-Châtillon, commis une faute fatale. Sa Juliette avait les mains liées par un funeste code d’honneur.