L’autre guerre. L’autre front. L’autre combat. C’est loin de la guerre en Ukraine et des polémiques suscitées par ses déclarations répétées sur le possible déploiement de troupes européennes au sol pour contrer Vladimir Poutine qu’Emmanuel Macron s’est rendu par surprise, mardi 19 mars. Sa destination, restée secrète jusqu’au dernier moment comme s’il se rendait à portée de tir des missiles russes? La Castellane, un quartier populaire de Marseille qui borde l’Estaque, cette charmante localité portuaire montrée au cinéma dans le film à succès «Marius et Jeannette».
Sauf qu’à la Castellane, les «barbecues» ne désignent pas les brochettes ou les poissons qui cuisent sur les braises, avec vue sur la Méditerranée. Ils désignent les incendies criminels de voitures, avec de jeunes trafiquants verrouillés dans leurs coffres, pour faire disparaître toute trace de leur élimination. Vous connaissez les personnages de «Narcos», la série consacrée par Netflix aux trafiquants de drogue colombiens et mexicains? Et bien ici, à Marseille, les gangs Yoda et DZ Mafia se tuent avec la même brutalité.
Fan de l’OM
Emmanuel Macron aime Marseille. Il est un fan de son club de football, l’OM, actuellement en train de reprendre pied dans le championnat de Ligue 1, après une série de victoires. Il aime cette ville qui lui ressemble si peu. Le président français, qui a d’abord grandi à Amiens (Picardie) est l’archétype du brillant intellectuel parisien. Il adore parler, mais il n’a ni l’accent, ni le bagout des Marseillais, ni leur sens de l’humour.
Seulement voilà: le second port français, après Le Havre (dont le maire est son ancien premier ministre Edouard Philippe) a tout pour lui plaire. Marseille est depuis toujours ouverte sur le monde et sur les pays du sud. Marseille est le point d’arrivée des principaux câbles numériques qui relient l’Europe à l’Afrique.
Marseille est le port d’attache du très puissant armateur CMA-CGM dont le patron, Jacques Saadé, est l’un des relais de l’Élysée dans le monde des affaires. Cette ville réputée pour sa criminalité, sa mafia corse et sa longue connivence avec le trafic de drogue international, rime avec la mondialisation et tous ses excès. C’est là, symboliquement, sur l’esplanade du palais du Pharo, que le candidat Macron avait tenu le 16 avril 2022 son unique meeting entre les deux tous de la campagne présidentielle.
Commission d’enquête du Sénat
Marseille et la drogue. Aujourd’hui, le bilan est affolant, comme d’ailleurs dans de nombreuses villes de France gangrenées par le trafic de stupéfiants et par l’argent qui en découle. Il suffit, pour mesurer son ampleur, d’écouter les auditions de la Commission d’enquête du Sénat sur «l’impact du narcotrafic et les mesures à prendre pour y remédier».
Depuis la fin novembre 2023, les Sénateurs interrogent policiers, magistrats, experts, économistes et élus. Leurs auditions s’achèveront au plus tard début mai. Et déjà, le constat est alarmant: «27,7 tonnes: c’est la quantité de cocaïne saisie en France en 2022, soit cinq fois la quantité saisie dix ans plus tôt, témoignant de l’intensification du trafic. Les réseaux de narcotrafic deviennent de plus en plus violents. Leur croissance est exponentielle. Des préoccupations naissent, par ailleurs, de l’extension du narcotrafic dans des zones jusqu’à présent épargnées: dans certaines, on assiste à une véritable submersion».
La bande annonce de BAC Nord
Dans la cité phocéenne, patrie des mafieux légendaires Carbone et Spirito dans l’entre-deux-guerres, puis de la «French Connection» dans les années soixante (jusqu’à son démantèlement avec l’aide de la puissante DEA américaine), Emmanuel Macron a annoncé mardi le lancement d’une «opération sans précédent», première d’une série d’une dizaine d’opérations «Place nette» qui doivent s’étendre sur plusieurs semaines. Place nette?
Le nom fait frémir, car jusque-là ce sont les gangs qui l’ont mis en œuvre en s’entretuant. La guerre de territoires pour le contrôle des juteux points de deal a ensanglanté Marseille comme jamais en 2023, avec 49 personnes tuées, dont quatre victimes collatérales, et 123 personnes blessées.
Bandes de dealers cagoulés
Cette guerre a ses territoires comme la Castellane ou surtout les fameux quartiers nord, où des associations de citoyens se battent au quotidien contre des bandes de dealers cagoulés, armés, qui tiennent les immeubles, filtrent les entrées, tiennent les policiers à distance. Elle a aussi ses bandes rivales, équipées d’armes de guerre, dont les tueurs sont de plus en plus jeunes et imitent les «sicarios» latino-américains. Ils circulent en scooters.
Ils tuent sans scrupule. Ils sont payés quelques milliers d’euros cash pour chaque assassinat. DZ Mafia, dominé par des trafiquants d’origine algérienne, est l’un de ces cartels, soupçonné de faire vivre des avocats, des promoteurs immobiliers et de corrompre des policiers, des douaniers et des gardiens de prison.
Yoda est le cartel rival, dont le chef présumé, Félix Bingui vient d’être interpellé le 8 mars à Casablanca, au Maroc, d’où il menait ses opérations. Jadis, la mafia corse régnait en maître, incontestée et redoutée. Époque révolue. La plupart des gangs recrutent aujourd’hui au sein de la jeunesse d’origine immigrée, et au sein des migrants clandestins, proies faciles pour les Narcos.
«Tu sais quoi, on sert à rien»
Qui l’emportera à Marseille, entre DZ Mafia, Yoda et Emmanuel Macron, venu en personne symboliser la riposte de l’État français? Cette autre guerre, pour l’heure, a surtout démontré l’incapacité de la police et de la justice à venir à bout de ces gangs qui importent le cannabis du Maroc, la Cocaïne d’Amérique latine via l’Afrique, et l’héroïne et les amphétamines d’Asie, via la Turquie. La guerre est déclarée. Les Marseillais, pendant ce temps, n’en peuvent plus de voir leur ville être transformée en champ de bataille.
«Tu sais quoi, on sert à rien. On sert plus à rien» se lamentait l’un des policiers dans le film à succès BAC Nord. La réalité, pour le moment, ne l’a pas encore démenti.