Il ne suffit pas de dire «Stop» à Vladimir Poutine. Il faut aussi argumenter, et démontrer que le président Russe, qui sera assurément réélu ce dimanche 17 mars, est bien cette «menace existentielle» dont la vie des Français dépend. C’est ce qu’a tenté de faire Emmanuel Macron dans son intervention télévisée consacrée pour l’essentiel à la guerre en Ukraine et à la Russie. Avant de s’envoler ce vendredi 15 mars pour Berlin où il se réunit «en urgence» avec le Chancelier Olaf Scholz et le premier ministre polonais Donald Tusk.
Crédible, le président français?
Ne pas «laisser gagner» Poutine, c’est crédible?
C’est la phrase clé du président français. Celle sur laquelle il compte bien obtenir une unanimité des 27 pays membres de l’Union européenne lors du prochain sommet à Bruxelles, les 21 et 22 mars. «La Russie ne doit pas gagner cette guerre», a-t-il répété lors de son entretien en direct depuis l’Élysée. Mais concrètement, cela veut dire quoi? Emmanuel Macron a répété que l’objectif des alliés de l’Ukraine est d’obtenir un retour aux frontières internationales du pays, donc celles d’avant l’annexion de la Crimée en avril 2014, il y a bientôt dix ans. Crédible? Non. Personne ne pense sérieusement aujourd’hui que Kiev pourra récupérer l’ensemble des territoires conquis par l’armée russe. Le Chancelier allemand, en refusant toujours l'envoi de missiles longue portée Taurus (comme le Bundestag qui a repoussé jeudi une proposition en ce sens) limite d'ailleurs la capacité de l'armée ukrainienne à mener une contre-offensive concluante.
Ne se donner «aucune limite», c’est crédible?
Le problème est que les mots, pour le moment, ne correspondent pas à la réalité. Emmanuel Macron a redit qu’il ne pose «aucune limite» au soutien à l’Ukraine. Il a répété, comme il l'avait fait le 26 février en évoquant le possible envoi de troupes au sol si la «dynamique» l'exige, qu’il faut se préparer à toutes les éventualités. Il a aussi argué du fait que les Européens ont déjà dépassé leurs limites initiales, puisque la France et les 26 autres pays de l’Union ont «systématiquement fait ce que nous disions que nous n’allions pas faire». Coïncidence: quelques heures. plus tôt, cinq milliards d'euros avaient à nouveau été débloqués au niveau européen pour financer des achats d'armes pour l'Ukraine.
Reste qu’aujourd’hui, les limites sont partout. Les stocks de munitions des armées européennes sont presque vides. Les chaînes de production françaises des Canons Caesar produiront cette année 75 unités de ce canon autoporté, tous envoyés en Ukraine. Nexter, le producteur des Caesar et l'Allemand Rhein Metall prévoir l'ouverture d'usines dans ce pays, mais cela prendre du temps. L’aide militaire américaine est bloquée au Congrès. Crédible de ne se donner «aucune limite»? Non, si l’on regarde ce qui se passe sur le terrain. Pour le moment, les «limites» sont partout.
«Pas dans l’escalade», c’est crédible?
Emmanuel Macron l’a répété, tout en réaffirmant que l’armée française doit se préparer à toutes les hypothèses. «Nous ne sommes pas dans l’escalade. Nous, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie». Ah bon? Sauf que les mots employés font mal et sont ceux d’un conflit presque programmé. «C’est cette fin de l’insouciance que j’évoquais il y a quelques années, a poursuivi le président français. On y est. La guerre est sur le sol européen», a-t-il lancé d’un ton martial en rappelant qu’il y a «moins de 1500 kilomètres entre Strasbourg et Lviv».
Crédible? Oui si l’on regarde les faits et que l’on met de côté la posture. Il est vrai que jusqu’à présent, la France et les pays de l’OTAN n'ont fait que réagir à l’agression russe. On ne peut pas les accuser de provoquer l’escalade. C’est Moscou qui a allumé le feu le 24 février 2022. «Jamais nous ne mènerons d’offensive, nous ne prendrons l’initiative», a d’ailleurs nuancé le locataire de l’Élysée.
La France, «force de paix», c’est crédible?
«La France est une force de paix. Pour avoir la paix en Ukraine, il ne faut pas être faible. Il nous faut lucidement regarder la situation et il nous faut avec détermination, volonté, courage dire que nous sommes prêts à mettre les moyens pour atteindre notre objectif […] Vouloir la paix aujourd’hui, ce n’est pas laisser tomber l’Ukraine, c’est faire valoir la paix».
On peut douter de l’efficacité de ce «en même temps» géopolitique. Vu de l’étranger lointain, et notamment des pays du sud réticents à soutenir les Occidentaux dans leur lutte anti-Poutine, le discours d’Emmanuel Macron va, à coup sûr, apparaître comme guerrier. Le président Français doit en plus assumer sa volte-face totale, puisqu’il a longtemps tenté d’apaiser le Kremlin. Crédible? Non. La posture était davantage celle d’un chef de guerre que d’un faiseur de paix. Autre complication: un haut-responsable européen nous confiait juste avant l'intervention présidentielle que depuis le siège israélien de Gaza, que l'UE a tant tardé à dénoncer, les pays du «sud global» sont renforcés dans leurs convictions que l'Europe est à «géométrie variable» lorsqu'il s'agit «d'arréter les massacres».
La Russie «multiplie les attaques», c’est crédible?
Emmanuel Macron n’a pas rendu visite, ces jours-ci, au Forum «Defense and Strategy» qui s’est tenu à Paris. S’il l’avait fait, il n’aurait rencontré que des experts et des militaires qui lui auraient donné raison. Jamais la Russie ne s’est montrée aussi brutale et menaçante, ont affirmé la plupart des intervenants. Dans les airs au dessus de la mer noire. En mer Baltique. A l'assaut des systèmes européens de communication et de données. Le président Français se conforme donc à leur opinion en parlant d'«un changement profond».
«La Russie multiplie les attaques […] 2024 doit être pour nous celui du sursaut.» Crédible? Oui, au vu des tests que les Russes mènent en permanence sur les infrastructures numériques, technologiques et aussi militaires (patrouilles aériennes, etc...) des pays de l’OTAN. Emmanuel Macron s’est en revanche montré bien moins alarmé sur la menace nucléaire russe. Logique. Vladimir Poutine n’a, sur ce plan, pas dévié de doctrine depuis le début, même s’il brandit sans cesse la capacité de son pays à utiliser «toutes ses armes».