Un face-à-face digne d’un film de cinéma. Ce mercredi 10 avril, le juge d’instruction d’Auxerre (Yonne) chargé du suivi de l’opération «Place Nette-XXL» contre le trafic de drogue s’est retrouvé devant la maire d’une commune de 7000 habitants. La preuve que rien ne va plus en France, où les zones rurales sont contaminées par l’économie parallèle des stupéfiants, et en particulier du cannabis. «Scarface» dans la paisible et verdoyante Bourgogne? Ce n’est plus une fiction.
Jamilah Habsaoui est maire d’Avallon, la commune où les gendarmes et les policiers ont ratissé les quartiers le 7 avril, aidés de chiens renifleurs, dans le cadre des opérations «Place Nette-XXL». C’est à son domicile que l’une des perquisitions s’est avérée la plus fructueuse. 70 kilogrammes de cannabis, une vingtaine de lingots d’or, 7000 euros en espèces et 983 grammes de cocaïne. Le contenu classique d’une planque, où les Narcos viennent se ravitailler pour approvisionner leurs sous-traitants et leurs clients. L’élue Divers-gauche a été mise en examen, et placée en détention provisoire. Sa démission est attendue, même si elle reste présumée innocente. Cinq autres personnes ont été inculpées, dont deux de ses frères.
Le maillon bourguignon
Avallon n’est pas Saint-Denis, la métropole de banlieue adossée au nord de Paris, souvent citée pour des affaires criminalité, et dans le radar des autorités car elle sera le QG des Jeux Olympiques et paralympiques à partir du 26 juillet. Avallon est en Bourgogne, au bord de l’autoroute qui relie le sud de la France à la capitale Française. Un maillon dans ce couloir Nord-Sud de plus en plus émaillé par les affaires de stupéfiants.
C’est sur cette autoroute que défilent, en plein milieu de la nuit, les «go fast» qui transportent le cannabis en provenance d’Espagne. Depuis une dizaine d’années, les forces de l’ordre interpellent régulièrement ces convois de véhicules lancés à pleine vitesse sur le bitume. En avril 2023, le tribunal de Dijon (Cote d’Or), la capitale de la région Bourgogne Franche-Comté – frontalière de la Suisse – a remis en liberté une mère de famille qui avait participé à ces convois, après un an de détention.
Ce qui a été découvert à Avallon, et ce que l’enquête policière permettra d’élucider, correspond au constat du sociologue Jérôme Fourquet. Au fil de ses livres, celui-ci met l’accent sur l’impact, dans les petites villes et les villages, du trafic de cannabis et de la criminalité liée à la drogue. «Des zones rurales comme le Bocage normand sont au cœur de la géographie de la drogue, affirmait-il en janvier 2022 dans une note réalisée pour la Fondation Jean Jaurès.
En lisant les pages du quotidien Ouest-France, on constate qu’aux confins de la Mayenne, de l’Orne, de la Manche et du Calvados, les descentes de gendarmerie contre des fermes clandestines sont fréquentes dans un terroir où, jusqu’au début des années 1970, les forces de l’ordre et les contributions indirectes faisaient la chasse aux trafiquants d’eau-de-vie, la «beuh» ayant en quelque sorte remplacé l’alambic».
Les cartes de la drogue
Jérôme Fourquet a produit plusieurs cartes du trafic de drogue en France. Les localités rurales, surtout si elles peuvent être facilement desservies depuis des autoroutes (ou être utilisées comme planques) y occupent une bonne place. «Le point de deal fait désormais partie du paysage quotidien dans de très nombreux quartiers et l’on compte deux fois plus de points de deal que de restaurants McDonald’s, éléments emblématiques de nos paysages contemporains indique-t-il dans une autre note de la fondation, consacrée aux villes moyennes.
«La plupart des villes, même petites ou moyennes, compte au moins un quartier de logement social dans lequel cette activité illégale s’est développée au fil des ans. Le trafic entraîne de fortes nuisances pour le quotidien des riverains et contribue à dévaloriser et à stigmatiser un peu plus ce quartier aux yeux des habitants du reste de la ville», poursuit le sociologue.
Ce qui a été trouvé au domicile de la maire d’Avallon révèle aussi la corruption de certains édiles ou officiels, tentés par l’argent facile de la drogue. Cela vaut d’abord pour les grandes villes, place forte des trafics, comme Marseille. Dans le cadre des auditions réalisées au Sénat par la Commission d’enquête sur le narcotrafic, des juges ont tiré le signal d’alarme parlant d’une «sorte de gangrène qui abîme le tissu social» et fragilise l’Etat de droit, laissant entendre que la métropole méridionale est devenue une «narco-ville».
Tout se fissure
Mais attention, tout se fissure. «En France, le trafic de stupéfiants représente un chiffre d’affaires évalué à trois milliards d’euros et on estime à 240'000 le nombre de personnes qui en vivent directement ou indirectement» a estimé devant les sénateurs la cheffe de la police antidrogue, Stéphanie Cherbonnier.
Or sans la corruption, qu’elle soit publique ou privée, les trafics ne prospèrent pas. Cela peut toucher des personnels des ports ou aéroports, des policiers, des gendarmes, des douaniers, des élus… Aucune profession n’est épargnée, dès lors que vous avez des trafiquants qui offrent des sommes très conséquentes. »
En février de cette année, une élue de Seine-Maritime, le département du port du Havre, a jeté l’éponge. La maire PS de Canteleu était poursuivie avec l’un de ses adjoints pour complicité de trafic de drogue. Elle a aussi démissionné de son mandat d’élue au Conseil régional de Normandie. Jamilah Habsaoui, la maire d’Avallon, était pour sa part conseillère régionale de Bourgogne-Franche-Comté. La contamination vaut pour la France de l’ouest, comme pour celle de l’est et du centre.