Les Néerlandais ne comprennent plus ce qui leur arrive. Tout comme les Suédois qui, plus au nord de l’Europe, sont effarés de la prolifération des règlements de compte dans les rues de Stockholm ou de Göteborg.
Aux Pays-Bas, le cœur du cyclone criminel et meurtrier porte un nom: Rotterdam. Le plus grand port européen, où des milliers de containers venus du monde entier débarquent chaque jour pour être ensuite acheminés par camions sur tout le continent, s’est réveillé assommé jeudi 28 septembre. La veille, trois personnes – une adolescente de 14 ans, sa mère et un enseignant – ont perdu la vie dans une tuerie.
Un homme, arrêté ensuite par la police, a d’abord tiré sur une maison, puis contre un hôpital. Il a allumé des incendies, vite éteints. Tragique ironie: l’établissement hospitalier visé porte le nom d’Érasme, le philosophe néerlandais mort à Bâle en 1536, considéré comme le père de l’humanisme.
La fusillade de Rotterdam est-elle l’œuvre d’un meurtrier pris de folie? A priori oui, puisque son signalement psychiatrique avait été donné à l’hôpital universitaire où il suivait des cours de médecine. Les résultats de sa garde à vue ne sont pas encore connus à l’heure d’écrire ces lignes. Mais l’impression que tout déraille dans ce pays protestant réputé pour son calme, son ingéniosité commerciale et son goût du travail, est désormais installée.
Depuis des mois, les crimes commis par la «Mocro Mafia», la mafia marocaine, qui a la haute main sur le trafic de drogue, sont sans cesse à la Une des médias. Autre sujet qui fait dérailler le pays: l’immigration, qui a conduit le Premier ministre libéral Mark Rutte à démissionner en juillet, faute de pouvoir obtenir un accord au sein de la coalition au pouvoir. Les prochaines élections législatives sont prévues en novembre.
La preuve la plus saillante de cette montée de l’insécurité et de la criminalité aux Pays-Bas a été fournie, il y a un an, par les menaces de kidnapping de la princesse héritière Amalia, 19 ans. Selon la presse, des rumeurs d’enlèvement ou d’attentat visaient la princesse, mais aussi le chef du gouvernement.
Ces menaces émaneraient d’un groupe criminel désireux d’obtenir la libération d’un Néerlandais de 44 ans, né au Maroc: Ridouan Taghi, alias De Kleine («le Petit»), interpellé à Dubaï en décembre 2019, extradé aux Pays-Bas et considéré comme le chef de l’un des clans les plus redoutés du pays, «les Anges de la mort».
Il n’y a pas de rapport direct entre la fusillade de Rotterdam et ces affaires de trafiquants de drogue. Mais le résultat est identique: la peur plane sur cette société de 17,5 millions d’habitants, habitués aux compromis et à la transparence. Incarcéré dans une prison ultra-sécurisée à Vught, dans le sud du pays, le chef mafieux serait même parvenu, dit-on, à garder le contact avec ses hommes.
Un «narco-État»?
Cette dégradation de l’ordre public n’est pas une surprise pour certains services de police européens qui l’attribuent à la déferlante de drogue sous toutes ses formes. La libéralisation de la vente de cannabis depuis 1976 est de longue date un sujet de contentieux avec la France et l’Allemagne voisine, où les polices n’hésitent pas à désigner Amsterdam et Rotterdam comme les deux capitales d’un «narco-État» qui ne dit pas son nom.
Or, cela n’a pas empêché les autorités néerlandaises de poursuivre dans cette voie puisqu’une expérimentation de vente locale va démarrer à la mi-décembre dans la région de Breda, proche de la Belgique et du Port d’Anvers, autre épicentre du commerce international de la drogue.
«On ne s’attend pas à ça aux Pays-Bas, a déclaré à la télévision néerlandaise Sem Built, un fonctionnaire de 38 ans. Aux États-Unis, oui, mais ici?» C’est cette question, aujourd’hui, qui préoccupe de plus en plus ce royaume réputé autrefois pour sa tranquillité.