Ils sont morts criblés de balle. Ou poignardés. Ou jetés depuis une falaise des Calanques, ces rochers mythiques qui entourent Marseille. Ils sont les visages d'un mal que la France parvient de moins en moins à enrayer: celui du narcobanditisme meurtrier.
Sur Netflix, une nouvelle série signée de l'ex-policier Olivier Marchal raconte le duel entre une brigade de policiers des «stups» et un caïd de la drogue Marseillais revenu de Dubaï. Son titre? «Blood Coast». La côte du sang. Telle est bien l'image que donnent les statistiques en cette fin d'année 2023. 47 personnes ont péri, ces douze derniers mois, sous les coups des trafiquants dans la cité phocéenne.
Ce chiffre n'est malheureusement pas surprenant. Chaque semaine ou presque, le récit d'une agression violente et meurtrière, ou d'un règlement de comptes, nous provient de Marseille, point d'entrée des tonnes de cannabis et de cocaïne en provenance du Maghreb et d'Afrique. Mais attention: ce qui se passe à Marseille n'est pas une exception. C'est toute la France qui est concernée. Le port du Havre, premier terminal français pour les containers, est débordé par la poudre blanche.
À Meaux, près de Paris, un réseau de corruption vient d'être démantelé, impliquant une greffière du centre pénitentiaire. Des douaniers ont été pris la main dans le sac en train d'épauler des trafiquants, ou de fermer les yeux sur des arrivages. Comme dans la série «Narcos» de Netflix, l'argent de la drogue achète tout et les armes de gros calibre font le reste.
La greffière de Meaux falsifiait les documents de sorties et de remise de peine pour libérer plus vite des condamnés. Six personnes, dont deux agents pénitentiaires, ont été mis en examen. «La réalité dépasse la fiction», a répété le 12 décembre la procureure de Paris, Laure Beccuau, interrogée au Sénat français sur la criminalité organisée et ses infiltrations.
Vitrine de la terreur
Cette réalité est multiforme. Marseille est la vitrine de la terreur. C'est là que tout se règle à coups de rafales de kalachnikovs. Mais l'argent de la drogue est aussi blanchi. Il infiltre les rouages de l'État. Il alimente les opérations de promotion immobilière dans les métropoles. Il se mêle aux filières d'immigration clandestine.
À la mi-décembre, un réseau de trafiquants a été démantelé par la police à Aubervilliers, dans la banlieue est de Paris. Son portrait est celui de la mondialisation du trafic dans la capitale française. La «mule» qui apportait la drogue d'Amérique latine venait de Guyane. La convoyeuse depuis l'aéroport jusqu'aux points de deal était franco-camerounaise. Le responsable du blanchiment des fonds était chinois, basé dans les entrepôts textiles d'Aubervilliers. A Marseille, on tire et on tue. Ailleurs, les narcos s'implantent et prospèrent.
Bilan chiffré
Bilan chiffré de ce trafic: trois milliards d'euros par an de profits, selon la police. Et des milliers de «petites mains», convoyeurs, dealers, tueurs, face à moins d'une centaine de magistrats spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée. Il arrive que des gros poissons tombent. Cela a été le cas en novembre à Dubaï, l'un des repères des narcos européens (comme le montre bien la série de Netflix).
Deux trafiquants considérés comme des «objectifs prioritaires» de l'Ofast, l'Office antistupéfiants français, ont été extradés par l'Émirat. Le premier, Abdelkader Bouguettaia, 36 ans, est présumé avoir assuré l'importation de la came via le port du Havre, ville où il est né. Il avait été condamné à neuf ans de prison à Lille en mai 2023 pour son rôle dans l'importation d'un container contenant 599 kilos de cocaïne intercepté à Anvers (Belgique). Le second est Abdel Karim Touil, surnommé « le professeur », condamné en octobre 2023 pour sa participation à l'importation d'une cargaison de 730 kilos de cocaïne. Mais pour ces caïds, combien d'autres prêts à prendre la place par la manière forte?
Dans les quartiers nord de Marseille
À Marseille, les quartiers nord sont l'épicentre du trafic local. Les barres d'immeubles sont remplies de «nourrices», ces particuliers qui cachent la came avant qu'elle ne soit distribuée. Puis tout remonte vers le nord. Des villes comme Dijon ou Grenoble sont désormais gangrenées par les trafics. Résultat: la France est traversée par des autoroutes de la drogue.
«La capacité des organisations criminelles à recourir à la menace et à la violence est sans limites, et celle à corrompre (différents corps de métiers) est aussi importante», a confirmé devant le Sénat la procureure Laure Beccuau, alarmée par une «sévère aggravation» des guerres claniques et des règlements de compte sur tout le territoire. Quelques jours avant son audition, un sénateur a été mis en cause pour avoir tenté de droguer et d'abuser d'une députée. Même le Parlement est donc contaminé.