Quelques grammes de poudre et la République vacille. Les interrogations sont en effet nombreuses, en France, sur les secrets inavoués du Parlement, depuis qu’un Sénateur tout juste réélu a été mis en examen, lundi, pour «administration à une personne, à son insu, d’une substance de nature à altérer son discernement».
L’élu, dont le nom a été publié par la presse française, est le centriste Joël Guerriau, sénateur de Loire-Atlantique, un département de l’ouest de la France. Les analyses toxicologiques effectuées sur lui prouveraient qu’il avait consommé de l'ecstasy, avant d’en verser dans la coupe de champagne d’une autre parlementaire, invitée à fêter sa réélection.
Également élue de ce département, Sandrine Josso, elle aussi membre de la majorité présidentielle, a affirmé à la télévision «avoir cru mourir»: «Je suis allée en toute amitié fêter la réélection de ce sénateur que je connais depuis dix ans. […] Il m’a servi une coupe de champagne et je n’ai pas vu les verres avant qu’il les apporte.
«Là, j’ai bu une première gorgée et j’ai trouvé que le champagne n’avait pas le même goût que d’habitude» raconte Sandrine Josso au quotidien «Ouest-France». Elle explique que le sénateur a alors trinqué plusieurs fois avec elle, avant qu’elle ne ressente des palpitations, des sueurs… «Et là, il remet un sachet blanc dans un tiroir sous le plan de travail. Là je comprends».
Pas de démission
Pour l’heure, le sénateur incriminé n’a pas démissionné, même si le président de son institution, Gérard Larcher, deuxième personnage de l’État (il peut remplacer le président de la République en cas d’incapacité ou de disparition de celui-ci) a exigé qu’il abandonne toutes ses fonctions au Sénat, où il était vice-président de la Commission des Affaires étrangères.
Il reste bien sûr présumé innocent. Mais cette affaire de toxicomanie est en train de réveiller d’autres souvenirs. Fin janvier 2023, un député de la majorité, élu des Hauts-de-Seine (banlieue ouest de Paris) a admis avoir consommé de la cocaïne. Exclu de son groupe, il a aussi refusé de remettre son mandat en jeu. L’affaire ayant été classée sans suite, il a depuis lors réintégré son groupe parlementaire.
Responsabilité des législateurs
Dans les deux cas, la responsabilité de législateurs supposés représenter l’intérêt général et voter les lois, y compris celles sur la répression des stupéfiants, est posée. «Ceux qui font la loi pour les citoyens sont des citoyens comme les autres, mais restent dans des postures moralisatrices «faites ce que je dis, pas ce que je fais» juge une familière des couloirs des deux assemblées. Quand un jeune des banlieues est pris sur une histoire de drogue, il fait de la prison et sauf à s’enliser dans la même voie illicite, il perd beaucoup de sa vie pour cette erreur». Deux poids-deux mesures?
Comment mesurer le discrédit consécutif pour la classe politique? La question de la drogue est en tout cas assurée de s’ajouter aux soupçons de corruption, souvent cités dans les enquêtes d’opinion. En 2020, selon un sondage de l’institut, les personnes interrogées affirmaient «savoir que la corruption existe, qu’elle perdure chez les élus, et que ces derniers laissent faire». 67% d’entre eux estimaient que les lois sur la moralisation de la vie politique n’ont «aucune incidence».
Présence de stupéfiants
La question de la présence de stupéfiants dans les couloirs du pouvoir relance d’autres affaires qui ont éclaboussé les élites françaises. On pense au cas de l’acteur et metteur en scène Pierre Palmade, mis en examen pour homicide involontaire en février 2023 après avoir provoqué un accident de la route, sous l’emprise de différentes drogues.
On pense à la mise en examen, restée discrète, en juin 2023, d’un collaborateur de Sénateur originaire de la région de Limoges, placé en détention préventive pour «viol et séquestration de femmes, dans un état de soumission toxicologique». «On ne peut malheureusement qu’envisager d’autres cas» estime, dans une conversation téléphonique avec Blick, un ancien fonctionnaire des services de renseignements français. Je ne crois pas à la thèse de deux utilisateurs isolés, l’un à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat. Les dealers qui les approvisionnent en ont sûrement profité pour distribuer leurs substances à d’autres».
«Intoxication parlementaire»
Un exemple existe pour comparer les risques «d’intoxication parlementaire»: celui de la Chambre des communes au Royaume-Uni. En 2021, un scandale révélé par le «Sunday Times» a ébranlé le palais de Westminster. Deux trafiquants de drogue arrêtés en 2021 pour «approvisionnement régulier» d’élus en cocaïne. Trente-huit délits liés à la drogue dans l’enceinte du Parlement britannique entre 2015 et 2018 selon un rapport supposé rester confidentiel. Onze lieux «marqués» à la cocaïne sur douze examinés par les services de police et leurs chiens renifleurs, dont les toilettes les plus proches du bureau du premier ministre conservateur de l’époque, Boris Johnson. Impossible, aussi, de ne pas citer les supposées traces de cocaïne trouvée en juillet dernier à la Maison-Blanche, à Washington.
Le marché de la drogue en France, selon les estimations, représente chaque année un chiffre d’affaires de trois milliards d’euros selon l’INSEE, l’Office national de la statistique. Le pays compterait, toujours selon l’INSEE, cinq millions de consommateurs de cannabis.
Les parlementaires «intoxiqués» ne sont donc pas tout seuls. Ils sont en tout cas bien informés: le sénateur mis en examen avait co-dirigé une mission consacrée au...trafic de stupéfiants en Guyane française!