Ils ne pourraient pas être plus différents. Jean-Luc Mélenchon, 72 ans, est l’archétype de l’homme politique français de gauche, aux racines populaires et à la formation trotskiste. Raphaël Glucksmann, 44 ans, est un pur produit des beaux quartiers parisiens qui a d’abord frayé dans le sillage de l’ancien président de droite Nicolas Sarkozy, avant de faire un virage vers la gauche, en passant par l’écologie.
En bref, le leader de la France insoumise (LFI) est un dinosaure révolutionnaire, tout droit sorti des décennies d’affrontement gauche-droite. A l’opposé, l’actuel chef de file de la liste soutenue par le parti socialiste pour les élections européennes du 9 juin, est un nouveau-venu sur le terrain de la social-démocratie.
S’y ajoute un grand fossé sur l’Europe: le premier est un souverainiste de gauche, très hostile à l’Allemagne. Le second, attendu ce mercredi soir pour un meeting à Strasbourg, est un fédéraliste assumé. Il défend l'adhésion future de l'Ukraine et de la Géorgie (où il était basé dans les années de guerre 2008-2010) et une «Europe de moins en moins française».
Une période tourmentée pour Mélenchon
Raphaël Glucksmann n’a donc, en théorie, rien à voir avec Jean-Luc Mélenchon. Et rien d’attrayant pour l’électorat de ce dernier qui, rappelons-le, a réussi la prouesse de réunir sur son nom 7,7 millions d’électeurs, soit 21,95% des voix, au premier tour de l’élection présidentielle 2022.
Seulement voilà: le temps passe et la campagne en cours pour les élections européennes est peut-être en train de changer la donne. D’abord parce que Glucksmann, député européen depuis 2019, peut se targuer d’un bon bilan d’élu au Parlement de Strasbourg, où il s’est spécialisé dans la défense de l’Ukraine et des droits de l’homme, et dans la dénonciation des ingérences étrangères, en particulier en provenance de Chine.
Ensuite, parce que Jean-Luc Mélenchon, qui n’est plus député et qui ne conduit pas la liste de LFI pour les européennes (il est numéro 50 sur celle-ci, dirigée par Manon Aubry), traverse une période tourmentée. Son soutien à la cause palestinienne, son refus de qualifier le Hamas de groupe terroriste après l'assaut du 7 octobre et sa dénonciation d’une «politique méthodique de génocide» menée à Gaza par Israël, le mettent dos au mur. Plusieurs ténors de son parti, comme la députée Mathilde Panot, ont d’ailleurs été convoqués par la police pour soupçons «d’apologie du terrorisme».
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Glucksmann trop complaisant avec Israël?
C’est dans ce contexte que le duel Glucksmann-Mélenchon a pris corps en France. Même s’il a toujours répété son attachement à une France «où personne, qu’il soit juif, musulman, athée, agnostique etc... ne doit avoir peur d’être ce qu’il est ou de croire», le fils du philosophe André Glucksmann a une sympathie naturelle pour Israël. Mieux: le couple qu’il forme à la ville avec la journaliste-vedette Léa Salamé l’a propulsé sur le devant de la scène médiatique.
A l’inverse, Jean-Luc Mélenchon est poursuivi par ses légendes noires. S’il reste un tribun idolâtré par ses partisans, le fondateur de LFI et de la NUPES – l’alliance électorale de gauche constituée pour les législatives de juin 2022 – est de plus en plus rattrapé par ses excès verbaux, et contesté pour son obsession présidentielle. Mélenchon aura 76 ans lors de la prochaine élection présidentielle française en 2027. Mais il fait tout pour empêcher l’émergence d'une autre personnalité issue des rangs de son parti, comme le populaire député de la Somme François Ruffin.
15% dans les sondages
Une belle performance de la liste Glucksmann aux européennes – elle est actuellement créditée par les sondages d’environ 15%, devant la liste du camp présidentiel – serait dès lors un signal majeur. Surtout si la liste LFI reste autour de 7%, soit la moitié.
Elle montrerait qu’un discours social-démocrate engagé contre la Russie et favorable à une Europe forte, mais alliée aux États-Unis, résonne de nouveau. Elle signifierait aussi que la stratégie de la colère de Jean-Luc Mélenchon a perdu sa puissance, puisque cette volonté de protestation anti-Bruxelles et anti-élites est d’abord incarnée par le Rassemblement national de Marine Le Pen.
Former une large alliance à gauche
Et la gauche française? Elle sait, car l’histoire l’a montré, que sa seule chance de renvoyer un président à l’Élysée est de former une large alliance, et de recommencer à séduire les électeurs centristes, qui avaient voté Macron en 2022.
Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour dire si Raphaël Glucksmann peut incarner ce renouveau et être porteur de cette alliance. L’Union de la gauche, jusque-là, a toujours été le cheval de bataille de Jean-Luc Mélenchon. Sauf que la personnalité de ce septuagénaire, admiré pour sa pugnacité mais détesté pour ses exagérations et sa violence, est aujourd’hui un obstacle. La roue politique tourne. Le test électoral du 9 juin montrera dans quelle direction.