Ne dites pas à Jean-Luc Mélenchon qu’il imite certains socialistes suisses: le leader de la «France Insoumise» éclaterait sans doute de rire en vous tapant dans le dos, comme à son habitude. On connaît l’irritation de celui qui rêve de se faire élire premier ministre de la République pour le secret bancaire helvétique et les forfaits fiscaux offerts aux étrangers les mieux lotis.
Mais voilà: après le «référendum d’initiative citoyenne» (le RIC réclamé par les «gilets jaunes»), pilier du programme institutionnel de la «France insoumise» et très inspiré de la démocratie directe en vigueur de ce coté-ci de la frontière, le porte-drapeau de la gauche radicale pourrait désormais reprendre mot pour mot les accusations des ténors de la gauche suisse opposés au projet d’accord-cadre entre la Confédération et l’Union européenne, enterré voici un an, le 25 mai 2021.
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Rébellion contre les traités européens
Non à l’Europe de la concurrence salariale déloyale. Non à l’Europe qui détruit les services publics. Non à l’Europe qui défavorise l’agriculture paysanne «bio». Sur tous ces sujets, l’ancien trotskiste, longtemps membre du PS, prône aujourd’hui la rébellion contre les actuels traités européens. Mieux: son credo anti-Bruxelles est désormais entonné en commun par les communistes, les écologistes… et ses anciens frères ennemis du parti socialiste. Lesquels ont conclu, dans la nuit, un accord électoral donnant le jour à une «Union populaire» de gauche crédible pour les législatives des 12 et 19 juin.
Gare aux comparaisons bien sûr. La Suisse n’est pas membre de l’Union européenne alors que la France est l’un des signataires du Traité de Rome du 25 mars 1957 qui créa la Communauté européenne (CEE) avec l’Italie, l’Allemagne et les trois pays du Benelux. Mais le tremblement de terre en cours au sein de la gauche française, motivé par la revendication Mélenchoniste d’une Europe sociale «qui ne tire pas vers le bas les salaires» via la libre circulation des travailleurs (surtout ceux venus de l’est) et qui dénonce «une concurrence libre et non faussée imaginaire, alors que le dumping social est bien réel» ressemble fort au mot d’ordre de l’Union Syndicale Suisse (USS): «Pas d’accord-cadre au détriment de la protection suisse des salaires!».
Union Syndicale Suisse et France insoumise
Et comment ne pas voir de convergence entre les arguments de l’USS et ceux de la «France insoumise» face aux traités européens? Coté USS, hostile à la reprise des règles communautaires et à l’acceptation de la Cour de justice européenne comme instance d’arbitrage on dit que: «L’UE se considère comme le moteur du marché intérieur européen et place l’accès des entreprises au marché au-dessus de la protection des salaires». Pour le porte-parole de la «France Insoumise» Adrien Quatennens interrogé ce mercredi matin sur France Info: «Nous devrons surmonter les obstacles des traités européens au cas par cas. Et ce dernier d'ajouter: «Nous revendiquons la désobéissance sociale», précisant ensuite: «Nous n’avons jamais envisagé la sortie de l’UE et nous n’avons aucune intention de nous dérober à l’Etat de droit».
Pierre-Yves Maillard et Jean-Luc Mélenchon, même combat? Vu d’Helvétie, le leader de la «France Insoumise» semble davantage incarner l’extrême-gauche. Mais la conséquence politique de cette flambée de revendications sociales adressées à Bruxelles produit en tout cas un effet analogue entre la France et la Suisse. Elle divise au sein des socialistes et des écologistes.
Les pro européens du PS et des Verts ne digèrent pas l’accord
Coté Français, plusieurs caciques du PS, à commencer par l’ancien président François Hollande (qui envisage de se représenter aux législatives dans son ancienne circonscription de la Corrèze) et l’ancien premier ministre Bernard Cazeneuve ont déjà annoncé qu’ils tireront «toutes les conséquences» de l’accord électoral signé dans la nuit par leur parti, auquel devrait revenir 70 circonscriptions législatives (pour 27 députés sortants). Au parlement européen réuni cette semaine en session plénière à Strasbourg, une partie des élus Verts français, fédéralistes convaincus, affichent aussi leur malaise, d’autant que leurs collègues allemands ont, eux, toujours défendu leur indépendance politique entre gauche et droite.
En clair: la gauche française unie derrière Mélenchon va sans doute provoquer un nouvel afflux d’élus et d’intellectuels pro européens vers… Emmanuel Macron. Exemple: l’ex premier ministre – et ex-candidat à la primaire PS de 2017 – Manuel Valls, dont la mère est tessinoise, se présentera aux législatives pour la majorité présidentielle. Valls dénonce depuis des années une autre dérive de Mélenchon: ses accommodements avec la laïcité et son aveuglement présumé sur l’islamisme.
Bruxelles en route pour de nouvelles sanctions contre la Russie
Pas de réponse pour le moment, du côté de Bruxelles, à cette poussée de fièvre sociale hexagonale. Il est vrai que la Commission européenne et sa présidente, l'Allemande Ursula Von Der Leyen, ont une autre urgente priorité: l’adoption d’un sixième paquet de sanctions économiques et financières contre la Russie, finalisé dans la nuit de mardi à mercredi. Avec, en tête: un embargo européen à venir sur le pétrole Russe sur lequel la Confédération devra aussi se prononcer.