Il rêvait d’une union de la gauche à la française, dont il serait le commandant en chef indéboulonnable. Il se retrouve aujourd’hui rejeté, et diabolisé, par une bonne partie de ses alliés de circonstance, socialiste et écologiste. Et il sera sans doute, sans être nommé directement, l’une des cibles d’Emmanuel Macron lors de son allocution de jeudi 12 octobre destinée à éviter toute importation du conflit Hamas-Israël en France.
A 72 ans, Jean-Luc Mélenchon est peut-être en train de griller, sur fond de crise au Proche-Orient, ses dernières cartouches en vue d’une possible quatrième candidature présidentielle, après celles de 2012 (11,1%), 2017 (20,01%) et 2022 (21,95%). La raison? Son refus intransigeant, imposé à ses troupes de «La France insoumise» (LFI), d’utiliser le qualificatif «terroriste» pour désigner le groupe palestinien Hamas.
A plusieurs reprises, les médias ont interrogé sur le sujet ses principaux lieutenants, la présidente des députés LFI Mathilde Panot et son successeur comme député de Marseille, Manuel Bompard. En vain. La réponse officielle de la formation phare de la gauche radicale française est toujours identique: non au «Hamas terroriste», même si l’Union européenne et le gouvernement français le désignent comme tel. Mais oui à la «condamnation des crimes de guerre». En affirmant avoir pour seule «boussole» le droit international et plus précisément le Conseil de sécurité de l’ONU…
Que le fondateur de La France Insoumise s’entête ainsi, malgré l’horreur des actes perpétrés sur des civils israéliens désarmés par les commandos du Hamas, n’est pas une surprise. Jean-Luc Mélenchon est d’abord de longue date un défendeur de la cause palestinienne. Il sait aussi que le soutien des Français de confession musulmane lui est en partie acquis sur le plan électoral, comme l’a montré la réussite des candidats LFI dans les banlieues, lors des législatives de juin 2022. Plus étonnant, en revanche, est son manque d’anticipation sur les fractures politiques qui en résultent aujourd’hui pour son propre camp.
Alliés de LFI pour les législatives de juin 2022 au sein de la Nouvelle Alliance populaire, écologique et sociale (NUPES), le Parti socialiste (PS) et Europe-Écologie-Les Verts sont en passe de demander le divorce. «Il n’y a pas une position qui serait déterminée par Jean-Luc Mélenchon pour l’ensemble de la gauche. LFI n’est pas la Nupes», assène Olivier Faure, le patron du PS, très critiqué pour cette alliance au sein de l’ex-parti de François Mitterrand et de François Hollande.
Le problème, pour le patriarche Jean-Luc Mélenchon, est que la polémique autour du Hamas, et l’accusation de chercher à tout prix à plaire aux six millions de musulmans de France, viennent s’ajouter à d’autres procès faits à sa personne et à son mouvement. Le premier, guère surprenant, est celui de l’autoritarisme et du clanisme. Le second, plus préoccupant, porte sur les malversations financières présumées d’une de ses très proches: la député de Paris Sophia Chikirou, présentée par une partie de la presse comme sa compagne.
Le troisième porte sur son obsession présidentielle. Même s’il reste flou dans les médias, affirmant même que son âge lui interdit en théorie de repartir dans quatre ans à l’assaut de l’Élysée, le septuagénaire fait tout pour éviter que quelqu’un lui vole la place de favori. Le mieux placé dans sa famille politique, le député de la Somme François Rufin, doit batailler pour exister. Au point de reconnaître, dans les colonnes du «Monde», à propos de la bande de Gaza et d’Israël: «Notre parole n’est pas à la hauteur de la gravité des événements.»
«Mélenchon est en train de transformer la France insoumise en France indigne, commente un ancien parlementaire socialiste battu en 2022, qui redoute toujours de subir ses foudres. Il a été un formidable candidat à la présidentielle. Et il ne supporte pas d’avoir été battu.»
Le «mal mélenchoniste»
La racine du «mal mélenchoniste», pour ceux qui le voient comme un fossoyeur de la gauche de gouvernement, est son choix d’un vote protestataire envers et contre tout, en ciblant les minorités et le vote communautariste. «Mélenchon a choisi au départ une rhétorique antiélitiste pour séduire l’électorat du Rassemblement national (droite nationale-populiste) explique dans «Le Figaro» l’essayiste Thomás Zicman de Barros. Et pour s’ancrer à gauche, il a abandonné le populisme souverainiste qu’il épousait depuis 2010, pour tenter d’incarner un populisme 'créole' ou 'créolisé'».
Problème: ce qui a relativement bien marché pour obtenir des élus (131 députés NUPES, dont 75 LFI) a déraillé ensuite. Lors du débat sur la réforme des retraites, le blocage à répétition de LFI a excédé. Lors des manifestations contre les violences policières, la présence systématique de LFI a fini par faire passer cette formation comme hostile à l’ordre républicain. Mélenchon le stratège, convaincu que les électeurs de gauche veulent l’union, s’est effacé devant Mélenchon le revanchard, soucieux de garder toutes les commandes médiatiques et politiques.
Résultat: pas de NUPES unie aux européennes du 9 juin 2024, puisque le PS et les Verts vont présenter chacun une liste. Et un Rassemblement national de plus en plus normalisé, à l’apparence bien plus «républicaine». Comme si le «mélenchonisme» avait fini par tuer son créateur.