Festival «Etonnants Voyageurs»
Ces tyrans sanguinaires adorent cuisiner et bien manger

Le titre de cet essai est alléchant: «Comment nourrir un dictateur» raconte le quotidien des tyrans, vu des cuisines de leur palais. Une superbe idée de reportage et de récit mis en lumière à l'édition 2024 du Festival «Etonnants Voyageurs» à Saint Malo.
Publié: 19.05.2024 à 21:10 heures
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Dernière mise à jour: 19.05.2024 à 21:13 heures
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Witold Szablowski est parti à la rencontre des cuisiniers de dictateurs, de Pol Pot à Idi Amin Dada.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Le jour, ils éliminent leurs opposants. Ils tuent, ils emprisonnent, ils font arrêter et parfois torturer les dissidents. Mais lorsqu’ils se retrouvent à table, devant leur assiette, dans leurs palais ou leurs repaires, ces dictateurs n’ont plus rien à voir avec les meurtriers que nous connaissons. Ils sont affables. Ils s’intéressent aux recettes. Ils demandent conseil à leurs cuisiniers et cuisinières. Ils posent des questions sur la cuisson des mets, les assaisonnements et les vins servis à table pour accompagner le tout.

Chaque année, d’étonnantes histoires transforment le festival «Etonnants Voyageurs» de Saint-Malo en rendez-vous avec le monde que l’on ne connaît pas. Grâce aux écrivains, aux journalistes au long cours, mais aussi aux conteurs de pays lointains, une autre planète émerge: celle des récits déliés de l’actualité, et celle des réalités qu’on ne voit pas, derrière le rideau des cérémonies officielles et du protocole.

Witold Szablowski, reporter polonais avide de contrées lointaines et d’histoires extraordinaires, s’est engouffré cette année dans cette brèche pour nous raconter «Comment nourri les dictateurs» (Ed. Noir sur Blanc). Son livre, traduit du polonais par la maison d’édition dirigée par Vera Michalski, dont la Fondation gère à Montricher (VD) un lieu entièrement dédié à l’écriture et à la littérature, se lit comme on déguste un bon plat. On picore, puis on l’avale avec délice.

Le bonheur des fourneaux

Quel bonheur de se retrouver près des fourneaux sur lesquels cuisent les plats destinés à Saddam Hussein (mort en décembre 2006), Idi Amin Dada (mort en août 2003), Fidel Castro (mort en novembre 2016) ou Pol Pot (mort en avril 1998)! Vous devez trouver bizarre de parler ainsi de ces tyrans, dont l’exercice du pouvoir s’est souvent soldé par des torrents de sang. Et pourtant: lorsqu’ils descendent en cuisine, et qu’ils regardent les plats mijoter – la plupart préfèrent les faire goûter par d’autres, de peur d’être empoisonnés – ces hommes redeviennent des gourmets attentifs.

L’auteur n’a pas son pareil pour nous raconter les deux faces de la terrible réalité. Il nous plonge dans l’Irak d’après la guerre américaine, dans le Cambodge débarrassé des Khmers rouges où l’on fait visiter aux touristes les énormes cratères causés par les bombes américaines durant la guerre du Vietnam, ou dans les rues de La Havane figées par l’isolement de l’île. Ses récits ont le sel de superbes reportages. Mais le piment est ailleurs: lorsqu’il parle avec ceux qui cuisinaient les poissons pour Saddam, le riz gluant pour Pol Pot, les brochettes pour Enver Hoxha, le dictateur qui régna sur l’Albanie communiste entre 1960 et 1990.

Les dictateurs se nourrissent aussi

«Etonnants Voyageurs»: le titre du festival annuel de Saint-Malo colle parfaitement à ce livre qui refuse les clichés. Les dictateurs se nourrissent aussi. Ils ont d’ailleurs souvent un énorme appétit, comme c’était le cas pour l’Ougandais Idi Amin Dada. Ils aiment leurs cuisiniers, car ces derniers sont, avec leurs policiers, les seuls à fréquenter le monde réel qui les entoure.

Saddam adorait interroger son cuisinier sur les marchés, l’approvisionnement en légumes, la qualité des viandes de boucherie. Pol Pot demandait à Moeun, sa fidèle cuisinière, de lui raconter les états d’âme des cultivateurs, que son régime Khmer rouge avait idéalisé, avant de plonger le Cambodge dans la folie génocidaire. La cuisine est le lien avec la vie quotidienne de leur pays. Et de la nourriture dépend aussi la santé des dictateurs, tous conscients que leur mort pourra être violente.

Pas de recettes culinaires

Ce livre n’est pas une compilation de recettes culinaires. Il nous montre, en quelques photos bien choisies, à quoi ressemblaient les cuisiniers des dictateurs en question. Mais il a la double saveur du reportage réussi et du repas complet. On le finit rassasié, terrifié par la colère qui peut s’emparer des hommes de pouvoir, et rassuré par le fait que même les pires dictateurs peuvent redevenir, à table, des convives agréables et curieux. Vous aurez noté, au passage, que tous ces tyrans sont des hommes, et que la plupart employaient à leur service des cuisiniers. «Comment nourrir un dictateur» est un sujet que les femmes, à l’évidence, préfèrent éviter…

A lire: «Comment nourrir un dictateur» (Ed. Noir sur Blanc)

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