Certains livres sont écrits pour vous faire partager des destins lointains. Très lointains. Des aventures que vous ne vivrez jamais, mais que l’auteur a vécu et traversé. C’est le cas de Colette Braeckman avec «Mes carnets noirs» (Ed. Weyrich) publiés quelques semaines avant la commémoration, ce dimanche 7 avril, du génocide commis au Rwanda il y a trente ans.
Colette Braeckman est une journaliste belge que rien ne destinait à l’Afrique, et en particulier à cette immense région de l’actuelle République démocratique du Congo. Cette région, ainsi que celle des Grands Lacs, fut colonisée par son pays, la Belgique, par un roi rendu richissime par les ressources de ce continent où il ne mit jamais les pieds: Léopold II (1835-1909). La vie, ensuite, en a décidé autrement et cette ex-reporter du «Soir», le quotidien de Bruxelles, est devenue l’inséparable raconteuse des entrailles de ce continent.
A lire sur l'Afrique
Il faut lire, page 259, son récit de l’attentat qui fit basculer le Rwanda dans l’horreur du génocide commis contre les Tutsis par les milices et extrémistes hutus. Ce génocide, que le discours raciste distillé en partie à l’époque par la puissante Église catholique (dont l’une des figures était l’évêque missionnaire Valaisan André Perraudin) avait contribué à installer dans les esprits.
Tout est raconté dans le moindre détail. Colette Braeckman raconte son arrivée à Kigali «en évitant les axes principaux sur lesquels se dressaient déjà des barrières, en suivant des chemins de traverse, dépassant des hommes coiffés de chapeaux de paille et brandissant des armes blanches». La réalité est insupportable. «Cette tragédie date de la fin du siècle dernier, mais au Rwanda, nous étions encore au Moyen Âge de l’information!», écrit-elle.
L’horreur fut déclenchée par l’attentat mortel contre l’avion du président Rwandais (hutu) Habyarimana qui rentrait au pays. Que fait Colette Braeckman? «Je ne pensais à rien, sauf à regarder, retenir. Capter les moindres détails, ceux qui serviraient tout de suite, ceux dont je me rappellerai plus tard, comme l’image de ces caisses de munitions que les avions français déposaient délicatement au bord de la piste, ou celles du magasin hors taxes pillé par quelques équipages qui se disputaient les bouteilles d’alcool». La journaliste se mure derrière sa volonté de raconter: «Les émotions étaient tenues en respect, à la lisière de la conscience».
Responsabilités françaises
Colette Braeckman fut l’une des premières à pointer la responsabilité directe de militaires français dans le déclenchement du génocide qui coûtera la vie à plus d’un million de Rwandais. Aujourd’hui, Emmanuel Macron affirme que son pays aurait pu «arrêter» les massacres. Terrible, funeste constat. Affreux. La journaliste avait bien vu le pire se dérouler. «Rentrée en Belgique, je ne songeais plus qu’à repartir, les dépêches d’agence me brûlaient les doigts, j’avais envie de hurler». Un contingent de parachutistes belges fut massacré par les génocidaires. Leur mémoire reste gravée en elle.
Ce livre est loin, très loin, d’être seulement consacré au Rwanda. Il raconte l’immense Congo, ses richesses que ses voisins – dont le Rwanda aujourd’hui présenté comme pays modèle – s’emploient à dérober, mêlant la boue des minerais et le sang des populations congolaises. Personne mieux que Colette Braeckman ne sait nous faire partager la folie des grandeurs de Mobutu, le dictateur de ce pays baptisé Zaïre après l’indépendance, où tout ce que la terre compte de richesses est disponible, mais où la misère reste immense.
Le sel de l’actualité
Une vie ne se réduit jamais à un sujet, à des rencontres, à des moments forts. Les jeunes aspirants journalistes, désireux un jour de couvrir l’actualité du monde, mais aussi les diplomates ou les humanitaires qui rêvent de se plonger dans la géopolitique, feraient bien de tourner ces pages et de les conserver. «Mes carnets noirs» est un vestige de ce que doit être le journalisme: un témoignage engagé et désintéressé de ce qui fait le sel de l’actualité: la vie des gens, quelle que soit leur couleur de peau, et quelle que soit leur position dans la société.
A lire: «Mes Carnets noirs» (Ed Weyrich) de Colette Braeckman