Il l’a redit dans sa lettre aux Français, publiée lundi 24 juin par la presse régionale: Emmanuel Macron promet de gouverner autrement en s’appuyant sur un «bloc central», seule façon selon lui d’échapper aux extrêmes.
Mais comment faire pour qu’un tel bloc sorte vainqueur à l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet? A priori, le président français n’obtiendra pas gain de cause dans les urnes selon Pierre Matthiot, politologue et ancien directeur de Sciences-po Lille.
Notre suivi de la campagne électorale
Pierre Matthiot, ce bloc central, vous le voyez émerger?
Non. Si l’on s’en tient aux enquêtes d’opinion et aux sondages, rien de tel ne va se passer. Toutes les estimations, en nombre de voix et de sièges de députés, vont dans le même sens à une semaine du premier tour du scrutin: la coalition centrale composée des élus qui seront prêts à soutenir le président sera très minoritaire. Je m’attends à ce que ce bloc compte beaucoup moins de députés qu’avant la dissolution. Le pari de dissoudre l’Assemblée pour consolider la majorité relative qui existait jusque-là semble donc perdu.
Attention, il y a deux tours de scrutin, puis un troisième tour après le vote. Ce «bloc central» ne peut pas être constitué à postériori?
Là encore, regardons ce qui se profile: Le Rassemblement national disposera sans doute à l’Assemblée nationale d’un groupe de députés très homogène, très difficile à diviser, avec ses alliés de la droite conduits par Éric Ciotti. Aller piquer des élus dans ce camp-là sera impossible. A l’autre bout, la gauche sera peut-être moins forte, mais pourquoi les socialistes et les écologistes, qui refusaient hier de gouverner avec Macron, le feraient-ils aujourd’hui alors qu’ils sortent d’une alliance électorale avec La France Insoumise?
On est revenu au point de départ. Pour constituer ce bloc central, au-delà de ses troupes, Macron ne pourra compter sur les députés de la droite traditionnelle. Mais ils seront sans doute beaucoup moins nombreux, et ils sont tous très remontés contre le président. Pour moi, le bloc central, ça ne marchera pas.
L’autre scénario, c’est celui d’un Rassemblement national endigué, d’une vague qui ne se concrétise pas dans les urnes?
Je ne vois pas comment cela pourrait arriver d’ici au second tour, le 7 juillet. Que le RN subisse un reflux, voire un échec électoral après avoir exercé le pouvoir, ça oui. C’est possible. Mais pourquoi les électeurs du RN aux européennes ne recommenceraient pas à voter pour ce parti? Je suis en plus convaincu que le Rassemblement national a des réserves parmi les abstentionnistes qui, cette fois, iront voter. C’est une dynamique inarrêtable dont le principal carburant est l’hostilité au président, une haine irrationnelle que sa décision de dissoudre l’Assemblée n’a fait qu’augmenter.
Avec cette dissolution, Macron a donné à ces électeurs la possibilité de se payer sa tête au sens propre. Et ils vont le faire. La dissolution, c’est aussi la porte ouverte au «On ne les a pas essayés». D’un côté, Macron est lâché par ses propres députés, qui n’osent plus faire campagne avec son visage sur leurs affiches. De l’autre, de plus en plus de Français estiment que le RN, seul parti à ne jamais avoir gouverné, mérite une chance d’arriver au pouvoir. Pour cet électorat-là, tous les autres partis se sont discrédités en gouvernant. Pas le Rassemblement national!
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La gauche, même unie, ne peut pas contester cette dynamique RN?
Le nouveau Front populaire est une nouvelle version de la NUPES de 2022, plus intéressante, mais toujours défensive. C’est une alliance quasi miraculeuse qu’Emmanuel Macron n’avait pas du tout vu venir. Il s’est trompé très lourdement. Il a fait une erreur d’appréciation massive. Cette gauche unie va ressortir logiquement mieux positionnée à l’Assemblée nationale qu’en 2022. Mais elle n’est pas en mesure de passer d’une alliance défensive à une alliance de gouvernement.
La difficulté pour le Front populaire, c’est 2027 et l’élection présidentielle. Les alliés ne sont pas capables, aujourd’hui, de s’entendre sur un candidat unique de la gauche. Mélenchon était leur candidat en 2022 mais sa notoriété est devenue trop répulsive. Or la présidentielle reste, en France, l’élection déterminante, celle à laquelle on est obligé de se préparer.
Voilà que le mot «guerre civile» apparaît dans des commentaires. C’est sérieux?
La France peut-elle entrer en éruption après le 7 juillet, surtout à l’annonce d’une victoire nette du Rassemblement national? Oui, c’est possible. La société française peut connaître une montée brusque de tensions. Guerre civile? Non. Je crois en revanche à un changement drastique de climat dans les rues. Si l’extrême droite l’emporte et dispose d’une majorité absolue, les forces de police seront tentées par un maintien de l’ordre encore plus violent.
Donc oui, le danger de dérapage localisé existe. On risque de voir aussi des campus occupés, dès la rentrée universitaire. Gérer tous ces mouvements de protestations sera plus compliqué. Plus il y a de tensions, plus il y a de risques.
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Macron affirme qu’il restera jusqu’en 2027, c’est tenable?
Cela va être très compliqué mais je ne crois pas que le danger viendra du Rassemblement national, s’il obtient une majorité absolue de députés. La difficulté principale sera l’atmosphère qui régnera dans le pays. Trois ans jusqu’à la présidentielle de mai 2027, c’est long! Le RN, lui, fera attention de ne pas apparaître comme irrespectueux des institutions. Il ne voudra pas se griller si son Premier ministre cohabite avec le président. Il gouvernera sans aller trop fort, mais il mettra Macron dos au mur. Plus on avancera vers la fin de mandat, plus le chef de l’État sera démuni, puisqu’il ne pourra pas se représenter…