La France est angoissée. Inquiète. Persuadée qu’une crise politique majeure pourrait découler du premier tour des élections législatives anticipées, ce dimanche 30 juin. Et cette angoisse est légitime. Jamais sans doute, depuis la rupture socialiste de 1981, avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, le destin du pays n’a semblé être à un tel point de bascule. Un sentiment qui, bien sûr, dépendra du second tour du 7 juillet, puisque telle est la règle du scrutin majoritaire, pour l’élection des 577 députés qui siégeront à l’Assemblée nationale à partir du 18 juillet prochain.
Cette angoisse française porte un nom: le Rassemblement national (RN). Pourquoi singulariser ainsi ce parti, dont la conduite républicaine a, il faut le dire, était irréprochable ces deux dernières années, marquées par la présence de 88 députés RN dans un groupe parlementaire présidé par Marine Le Pen?
D’abord parce que tous les sondages le donnent nettement gagnant, avec 32 à 35% des suffrages, soit en progression par rapport à son succès des élections européennes du 9 juin. Ensuite parce qu’aucun de ses adversaires, y compris le Nouveau Front populaire de l’union de la gauche, ne semble en mesure de contester aujourd’hui ce leadership. Enfin, parce que son histoire, son programme, et tout ce qui le porte aujourd’hui à caracoler en tête des enquêtes d’opinion le distinguent des autres formations.
Extrême droite et République
Le RN est un parti situé à l’extrême droite de l'échiquier politique. C’est un fait. C’est sa marque. Il est républicain, ce qui rompt heureusement avec les racines putschistes, racistes, colonialistes et anti-républicaines de son prédécesseur, le Front national. Ses dirigeants, à commencer par Marine Le Pen et Jordan Bardella, ont aussi su multiplier les preuves de pragmatisme, en renonçant à plusieurs de leurs revendications historiques, comme l’abandon de l’euro, le retrait du commandement intégré de l’OTAN, ou l’apaisement à tout prix avec la Russie.
Il est vrai également que, sur le plan des libertés et de la diversité, ce parti a su épouser les réalités sociales du moment, en modérant sa xénophobie passée. Mais regardons les faits tels qu’ils sont: le vote RN, aussi protestataire et anti-Macron soit-il, veut une autre France. Une France qui se referme derrière ses frontières. Une France qui utilise l’Union européenne, mais s’en détachera dès qu’elle le peut. Une France où l’État social sera l’arbitre ultime des décisions économiques. Une France qui, pour préserver la paix, ménagera Vladimir Poutine. Une France qui attribue presque tous ses maux à un bouc émissaire unique: les immigrés, surtout s'ils sont musulmans, Arabes et Africains.
Du RN à l'UDC
Les électeurs français ont le droit de faire ce choix. De nombreuses thématiques du RN sont, en Suisse, celles de l’UDC. Gare, toutefois, à bien avoir en tête les différences, car elles sont déterminantes pour un pays doté de l’arme nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, seconde économie de la zone euro et cofondateur de l’Union européenne.
L’UDC n’est pas, loin s’en faut, un parti étatiste. L’UDC est un parti dominant qui affectionne et respecte la démocratie directe dans un pays où le pouvoir est partagé: entre partis au niveau fédéral, entre cantons, et entre l’exécutif, le Parlement et le peuple. L’UDC est une formation soucieuse des dépenses publiques, consciente de l’importance de l’innovation et d’une économie ouverte. L’UDC n’a pas de racines colonialistes.
L’histoire de la Suisse, neutre, où les juifs n’ont pas été raflés pour être déportés (ce qui n’efface en rien les faces sombres de la Seconde Guerre mondiale sur le plan de la discrimination communautaire et des liens opaques avec le régime nazi), n’a surtout rien à voir avec celle de la France dont la devise demeure Liberté-Égalité-Fraternité.
Le Rassemblement national, s’il parvient au pouvoir, sera un avertissement pour tous ceux qui voient dans la France un pays capable, malgré tous ses problèmes, d’incarner un universalisme républicain. Peut-être est-ce qu’une majorité de Français désire. Sans doute faut-il, aussi, s’inquiéter des dérives de la gauche radicale incarnée par la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Répétons-le: les électeurs Français ont le droit absolu de faire le choix du RN, et de lui confier les rênes de leur gouvernement, a priori destiné à fonctionner en cohabitation avec Emmanuel Macron jusqu’en 2027.
Redoutable évidence
Rien ne permet d’accuser le RN de ne pas être démocratique. Gardons juste en tête que, dans le système français si vertical et si centralisé, l’installation d’un parti extrémiste aux commandes du pays aura par définition des conséquences à tous les niveaux et à tous les étages. Le Rassemblement national n’est pas un parti comme les autres. L’ignorer, au nom du rejet de tous les autres, c’est oublier une redoutable évidence.