Six mois de sobriété plus tard
L'alcool ruinait ma vie: voici comment j'apprends à m'en passer

J'ai longtemps entretenu une relation tumultueuse avec l'alcool, jusqu'à la glissade. Depuis six mois, je suis sobre. Une décision vertigineuse qui a changé ma vie. Un parcours difficile fait de secrets inavouables que j'ai toutefois décidé de vous confier aujourd'hui.
Publié: 30.06.2024 à 09:10 heures
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Dernière mise à jour: 30.06.2024 à 10:49 heures
Avant, je buvais. Beaucoup trop. Mais c'était avant.
Photo: Gabrielle Savoy
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

J’ai arrêté l’alcool depuis six mois parce que j’ai un problème avec l’alcool. Pardon, j’ai PLEIN de problèmes avec l’alcool.

J’ai piqué cette formule au vidéaste français Maxime Musqua. Aucune autre phrase ne pourrait mieux résumer ma vérité. Ce lundi 1er juillet, je serai sobre depuis exactement six mois. C’est une nouvelle vie. Et je pèse mes mots. Dans cet article, je vais vous expliquer pourquoi j’ai pris cette décision et ce que ce choix implique. Dans ma vie professionnelle, familiale, amicale, mais aussi amoureuse.

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Vous trouvez cet exercice impudique, à la limite de l’obscène? Croyez-moi: ce que je m’apprête à vous raconter n’est vraiment pas ce que j’ai envie d’écrire sur ma carte de visite. Je suis toutefois convaincu que cette mise à nu pourra aider certaines personnes. Comme la vidéo de ce fameux Maxime Musqua, dans laquelle il se lance pour défi de ne plus picoler une année durant avant de décider de poursuivre son élan salutaire, m’a aidé. En Suisse, 250’000 à 300’000 individus — soit deux fois la population lausannoise — souffrent d'alcoolodépendance, selon la Confédération. Des estimations probablement en deçà de la réalité.

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Les prémices

La première fois que j’ai bu de l’alcool est aussi la première fois où j’en ai trop bu. Ce soir-là, je fête mes 15 ans (j’en ai 29). Je me trouve dans un débit de la capitale vaudoise qui existe toujours. J’ai 20 francs en poche et des amis un peu plus âgés à mes côtés.

Je me souviens du goût âpre de la bière — des canettes de Faxe de 1 litre — et de l’effet des premières gorgées: un feu d’artifice. Il faut boire vite, très vite même. Et surtout, plus vite que les copains. Un téléphone portable posé sur le zinc mesure les performances des uns et des autres. Révélation! Alors que certains sont bons en math ou en allemand, moi, je défonce tout le monde en cul sec. On ne choisit pas ses talents…

Cette fin de soirée est à l’image de bon nombre de celles qui ont suivi. J'avale des shots de tequila dans lesquels baignent des rondelles d’orange tièdes recouvertes d’un amas pâteux de cannelle en poudre, histoire de vraiment bien me rôtir la tronche. Puis vient le moment de l’addition: mon unique billet orné du portrait d’Arthur Honegger est loin d’être suffisant pour régler mon dû. Je titube et dégueule dans les toilettes du sous-sol. Le lendemain, je me réveille dans mon lit. Entre deux? Le flou.

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L’habitude

J'ai revécu cette scène des centaines de fois. D’abord que le samedi. Puis, le vendredi et le jeudi aussi. J’ai 16 ans, je suis au gymnase et, durant les cours, je m'ennuie comme un rat mort. Les soirées à domicile deviennent de l’ordre de l’exception, peut-être pour fuir mon spleen diurne.

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Des associations sont là pour vous aider en cas d'addictions. Si vous vous sentez en danger, prenez contact avec des spécialistes.

L'association Addiction Suisse possède une ligne téléphonique gratuite au 0800 105 105.

Vous pouvez également retrouver le répertoire des ressources en Suisse sur le site de Rel'ier

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Évidemment, plus je m’enfonce dans la nuit, moins je vois la lumière du jour. Assumer mes — rares — obligations n'est plus ma priorité. Par chance, sans aucun mérite, j'obtiens aisément ma maturité fédérale. À l’université, c’est une autre limonade. Mon château de cartes s’effondre lors de mon premier examen de droit constitutionnel, cours où je n’ai pas mis un orteil durant l’année écoulée. Je découvre dans la douleur qu’il va falloir se lever le matin. Si possible sans gueule de bois.

Mais réaliser et agir en conséquence sont deux choses très différentes. Ma vie sociale est construite autour de l’alcool. La tise dicte mes activités, les gens que je côtoie et les lieux où je me rends. Je me suis construit comme ça: je suis un «bon vivant», qui lance autant de projets qu’il fait la fête. Où est le mal? Et, dans mon cercle, sous mon impulsion, les obligations de boire des culs secs portent désormais mon nom: la règle Hürlimann. Fierté!

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Le chemin de crête

Par la force des choses, mon entrée dans le journalisme professionnel régule un peu mes tribulations imbibées. Je bois moins souvent, mais quand je bois, je me mets une gigantesque dose. J’élargis mon cercle et mes territoires grâce au pouvoir de l’apéro. Sans complètement le conscientiser, l’alcool devient un outil précieux pour me créer un réseau de sources et pour obtenir des informations. Un proverbe russe avance: «Ce que l’homme sobre a dans la tête, l’homme saoul l’a sur la langue.» C’est vrai. Dans les sphères de pouvoir, quasi tout le monde trinque (trop). Et ça me facilite grandement le job.

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À côté, comme pas mal de mes potes, je passe mes week-ends au lit avec une serviette froide sur le front et une sérieuse envie de gerber. Les dimanches matin sont les plus durs: dans moins de 24 heures, il faudra être au taquet au bureau. Cette perspective me fout de plus en plus d’angoisses et me rend irascible. Heureusement, j’ai ma routine: je commande un McDo’ et environ 100’000 sauces. J’ai besoin de réconfort.

Ce lifestyle de gros déglingos qui n'ambitionne pas sérieusement de dépasser la cinquantaine n’est pas idéal. Sans le voir, je prends plus de 30 kilos en neuf ans. Je passe d’un adolescent sportif athlétique à un jeune adulte gras comme un porcelet qui aime boire, manger et beaucoup fumer. Mais on s’en fiche: être un «bon vivant», c'est socialement valorisé. Et puis, picoler local, c’est même bon pour l’écologie et l’économie!

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La glissade

Soudain, le tournant. Janvier 2022. Une agression me laisse un stress post-traumatique. En avril, celle avec qui je vis depuis quatre ans, me quitte. Dans la foulée, lors d’une séance d’EMDR (en bon français: désensibilisation et retraitement des informations avec l’aide de mouvements oculaires) chez ma psy, des images et des sensations me reviennent sans crier gare. Le voile qui drape une partie de mon enfance se lève partiellement. Ce que je découvre me bouleverse. Ce terrain, vague, doit encore être défriché.

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Les mois qui suivent sont la période la plus difficile de mon existence (à ce jour). Mais je tiens bon. Je me cramponne à mon exigence: je suis un putain de guerrier et j’arriverai à escalader les montagnes qui se dressent devant moi. Au travail, je serre les dents et affine ma poker face. Je continue de consulter ma thérapeute, mais ma consommation d’alcool devient glauque. La boisson: mieux qu’un exutoire, un anesthésiant.

Parallèlement, et ça peut sembler paradoxal, je reprends ma vie en main. Je recommence le sport, j’arrête la clope du jour au lendemain alors que je fumais deux paquets quotidiennement depuis 13 ans et je remets progressivement de l’ordre là où c’est nécessaire. Les cuites, elles, s’enchaînent et deviennent de plus en plus fréquentes. Les black-out, aussi. Quand je bois deux verres, j'ai envie de m’en envoyer 10. Les bleus au corps et au cœur se multiplient, les sentiments de culpabilité et de honte s’intensifient. Non sans raison.

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Le déclic

Ce cirque pathétique s’étire jusqu’à l'aube de 2024. Je me lance dans le Dry January, comme à mon habitude depuis quatre ou cinq ans. Sans pouvoir l’expliquer, après une dizaine de jours, je me sens mieux et horriblement mal à la fois. Mieux, parce que j’ai l’impression de sortir d’une descente en apnée. Mal, parce qu'une terrible fatigue physique et psychologique me tacle à la carotide. J'ai fait un excès d'excès et le paie.

Les jours et les soirées défilent et la vie (la vraie) revient peu à peu. Je n'ai aucune peine à rester sobre. En réalité, il m'est plus simple de ne pas boire du tout que de boire modérément. C'est comme ça. Le mois de janvier se termine et je décide de prolonger mon abstinence. Sans date de fin. J'y vais au feeling. Tant que je suis bien, je continue. Un jour après l’autre.

Cela ne fait que quatre semaines que je m'abreuve de Coca Zéro, mais, alors que j'ai en temps normal le sommeil agité, je dors comme un bébé. Moins d’anxiété, plus de stabilité émotionnelle. Par ailleurs, ma peau acnéique semble aller mieux. J'ai l'impression de prendre une bonne décision et je suis fier de moi. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu cette sensation.

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Les embûches

«L'homme est un loup pour l’homme.» Hobbes n'a pas proclamé que des âneries. Là où on voit que le Dry January gagne en popularité, c'est que personne — ou presque — ne vous casse les pieds quand, au restaurant ou chez des intimes, vous jouez la carte du mois sec. Par contre, quand ces 31 jours qui suivent les bacchanales de fin d'année sont terminés, les remarques et regards changent.

Je ne vais pas m'épancher ici sur les proches, serveurs, collègues ou dates qui m'ont saoulé parce que je suce que des glaçons. J'ai vécu exactement la même chose que toutes les personnes qui ont emprunté le même chemin avant moi. J’ai surtout envie de vous esquisser mes parades.

J'ai d’abord écarté de ma vie les vrais relous, ceux qui ont continué de me vanner ou de critiquer mon choix. J'ai suivi la maxime de Shakespeare: «Abandonne ceux qui s'abandonnent.» Même si elle heurte mes valeurs. Je fais de moi mon premier objectif. Cela signifie une chose simple, basique: je garde ceux qui me tirent vers le haut et me sépare de ceux qui me sabotent. Pour éviter les tensions, pas de prosélytisme. Chacun son bout d'écharpe. Enfin, au bistrot, je commande en dernier. Ainsi personne ne peut m'accuser de péter l'ambiance et les gens sont moins mis face à leur consommation d'alcool par le miroir que leur tend ma sobriété.

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Le renouveau

Quand je buvais, je me serais défini comme un gars au contact facile qui peut parler de tout avec n’importe qui sans filet devant plusieurs centaines de personnes. Avec la prétention de faire passer un chouette moment à mon auditoire. Eh bien une fois sobre, mes premières pirouettes verbales n'avaient pas la grâce des quadruples sauts de Stéphane Lambiel. Pire: prendre la parole parmi un cénacle de connaissances pouvait même être cause de stress.

J'ai dû apprendre à vivre sans alcool. Réellement. Et je suis encore en train d'acquérir des outils. C'est socialement que le choc a été le plus rude. Sobre, je n’ai plus les codes: comment lancer la conversation avec quelqu'un que je ne connais pas? Comment aborder une fille en soirée? Comment draguer? Comment avoir une première relation sexuelle avec une nouvelle partenaire? Argh, eurgh, pfeurg, reurgh. Hyper terrifiant!!!

Au final, je me suis jeté à l'eau (LOL). Aujourd'hui, j’embrasse pleinement ma sobriété. Je pars des soirées quand les visages déformés tapent des monologues interminables (vers minuit) et je n’ai jamais autant savouré ma mousse depuis qu’elle est dépourvue d’alcool.

Est-ce que je regrette ce processus? Absolument pas. Est-ce qu'il a résolu tous mes problèmes? Non plus. Est-ce que je vais rester sobre toute ma vie? Aucune idée. Ce que je sais par contre, c'est que vivre sans psychotrope, pour qui le décide, peut être une expérience aussi effrayante que magnifique. Je pense à celle qui consiste à accepter ses sentiments et ce qu'ils provoquent sans éthanol. Une voie laborieuse mais gratifiante, qu'aucun médecin dans le monde ne déconseillera jamais. Moi, je la recommande sans réserve.

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