Une volute saveur gaufre ou cerise persiste, crachée par une puff et encapsulée par l'abribus. Quelques mètres plus loin, une bouffée de tabac stagne dans l'air, suivant le sillage d'un piéton qui déambule, une cigarette entre les doigts. Ce sont les parfums caractéristiques d'une balade en centre-ville, alors que près d'un quart de la population suisse âgée de plus de 15 ans est fumeuse, tandis que 59% des 15-25 ans ont déjà consommé au moins une fois les fameuses puffs, des cigarettes électroniques à usage unique souvent dotées d'un packaging coloré et attractif.
Chaque année, en Suisse, 9500 personnes décèdent de manière prématurée des suites de la consommation de tabac. Cela équivaut à 26 décès par jour, selon l'OFSP. Face à l'un des principaux problèmes de santé publique, de nombreux organismes investissent beaucoup d'efforts dans la prévention, particulièrement auprès des jeunes. En ce 31 mai, Journée mondiale sans tabac, toutes les campagnes misent d'ailleurs sur ce thème, tandis qu'Unisanté y consacre une nouvelle exposition itinérante à Lausanne, intitulée «Le tabac en question».
Rappelons que la Suisse occupe l’avant-dernière place du classement européen sur la politique du tabac, et la toute dernière place lorsqu'il s'agit de la protection des enfants contre les publicités et le marketing de l'industrie concernée. Alors que le peuple avait largement accepté l'initiative «Enfants sans tabac» en 2022, Addiction Suisse martèle que celle-ci n'est actuellement pas mise en œuvre par le Parlement et appelle à une application immédiate du texte: «L’article constitutionnel adopté est clair, insiste la fondation dans un communiqué. 'toute forme de publicité' (atteignant les jeunes) doit être interdite, insiste l'organisation dans un communiqué. Le Parlement n’est pas habilité à faire des exceptions et encore moins à exiger des compromis du peuple.»
L'industrie du tabac veut «cueillir» les ados
Même son de cloche pour Unisanté, qui estime que «la mise sur le marché de produits fun et colorés par des industriels a pour unique objectif de créer une nouvelle génération de fumeuses et fumeurs dépendants». Ce discours concerne évidemment les produits tels que les puffs, largement destinés à séduire les adolescents.
«La puff est colorée, ressemble à un stabilo ou un bonbon et présente des arômes de barbe-à-papa de jus de fruits, confirme Vanessa Prince, chargée de projet en promotion de la santé et prévention à Unisanté. Elles font appel à des référentiels de goût qui plaisent aux enfants ou aux ados et leurs publicités sont généralement véhiculées sur les réseaux sociaux comme TikTok ou Snapchat.»
Un rapport publié en mars par Promotion santé Valais et Unisanté souligne effectivement que la promotion de ce type de produits est largement présente sur les réseaux sociaux, véhiculée à la fois par l'industrie du tabac, des vendeurs, des influenceurs ou encore des comptes personnels: «Le but est clairement de cueillir de très jeunes consommateurs, acquiesce Vanessa Prince. Durant nos discussions avec les ados, on essaie de développer leur esprit critique par rapport à ces stratégies de marketing, de leur montrer qu’on essaie de les manipuler en vendant un produit qui ressemble à une sucrerie, discret et facile à cacher aux parents.»
Les ados sont plus vulnérables
En plus d'être confrontés à des publicités spécifiquement développées pour leur plaire, les jeunes s'avèrent plus vulnérables aux griffes de l'addiction. «L’industrie du tabac a pour seul objectif de maximiser ses profits et s’oppose à toute limitation qui l’empêcherait de recruter de jeunes clientes et clients, déplore Addiction Suisse dans son communiqué. En effet, pratiquement personne ne commence à consommer de la nicotine après 21 ans.»
C'est effectivement durant l'adolescence que le piège de l'addiction risque de se refermer: «On privilégie la prévention auprès des jeunes, principalement les 13 à 15 ans, car les études montrent que la plupart des premières expérimentations se font à cet âge-là, constate Vanessa Prince. En effet, notre cerveau se construit et se développe jusqu’à l’âge de 25 ans en moyenne. Jusqu’à cette période de la vie, les jeunes sont donc biologiquement et psychologiquement plus vulnérables face aux substances psychoactives, comme le cannabis, l’alcool et le tabac.»
Du côté des puffs, le danger semble d'autant plus important, sachant que le potentiel addictif est élevé: «Ces produits contiennent des sels de nicotine, créant une dépendance plus rapide et plus forte, précise notre intervenante. Si on associe cet effet au cerveau vulnérable des adolescents, c’est le combo gagnant pour récolter de nouveaux jeunes consommateurs.»
500 bouffées de puff = 30 cigarettes
Voilà qui contredit l'idée courante (et totalement fausse) selon laquelle les puffs contiennent moins de nicotine que les cigarettes conventionnelles, dont on connait désormais très bien les effets: «Sur le terrain, nous axons la prévention sur l’information et la correction de fausses croyances, explique Vanessa Prince. C’est plutôt le contraire! Les jeunes sont perdus, au milieu des messages de réduction des risques des cigarettes électroniques.»
Les messages publicitaires portent effectivement à confusion, dans la mesure où on entend souvent que le vapotage permet d'arrêter de fumer de manière plus agréable et plus facile: «Il est vrai que certaines variantes, généralement vendues dans les vape shops, permettent de réduire la dose de nicotine petit à petit pour sevrer le cerveau et l’organisme, concède Vanessa Prince. Or, tous les autres dispositifs, dont les puffs, n’ont pas cet effet, puisqu’on ne peut contrôler la quantité de nicotine qu’ils contiennent. Ceux-ci ne sont jamais recommandés pour un sevrage, il s’agit d’une tout autre catégorie de produits. On peut en conclure que ces différents dispositifs ne visent pas les mêmes publics.»
D'après une campagne relayée par Unisanté, 500 bouffées de puff équivalent à 30 cigarettes, en termes de nicotine. Une enquête suisse publiée en mars par AT révélait également qu'un grand nombre de puffs sont vendus de manière illégale, en raison d'une composition qui ne répond pas aux normes établies.
Bien que ces produits soient relativement nouveaux et que leurs effets à long terme n'ont pas encore pu être étudiés avec autant de précision que ceux des cigarettes conventionnelles, différentes recherches sont en cours, pointant divers impacts négatifs sur la santé: une recherche américaine démontre par exemple l'augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, tandis que d'autres pistes suggèrent un lien entre le vapotage et un risque accru d'accidents vasculaires cérébraux chez des jeunes personnes. D'autres analyses doivent toutefois être réalisées, avant de pouvoir établir des conclusions claires.
Comment parler des puffs à nos enfants?
Or, d'après Vanessa Prince, ce type d'information n'est pas suffisant pour créer une prise de conscience chez les jeunes consommateurs: «Les messages portant sur la santé ne font pas réagir tous les adolescents, dans la mesure où les jeunes vivent dans le présent et s’inquiètent peu des conséquences à long terme, observe-t-elle. De même, le discours très moralisateur ne fonctionne pas très bien, sans oublier la pression sociale qui peut rendre le phénomène très délicat: le facteur le plus important, pour eux, est souvent l’appartenance au groupe et l’avis des pairs. Nous essayons donc d'encourager le renforcement de leurs compétences psychosociales, en leur apprenant à s'affirmer, à prendre une distance critique et à savoir dire 'non'.»
Aux parents qui s'inquiètent du phénomène, notre intervenant conseille de maintenir le dialogue ouvert, sans se prétendre expert en la matière: «On ne peut prétendre tout connaître de ces dispositifs, puisqu’ils sont très récents et que les études scientifiques sont encore peu nombreuses, explique-t-elle. Les parents peuvent donc facilement se sentir dépassés, car les puffs ont débarqué sur le marché de manière soudaine, en révolutionnant les codes bien connus de l’industrie du tabac classique.»
Pour l'experte, il convient toutefois de veiller à préserver le lien que les parents entretiennent avec leurs enfants, afin de continuer à en discuter: «On peut questionner son ado, lui demander ce qu’il ou elle sait de ces dispositifs, ce qu’il ou elle en pense, ce que cela lui apporte… Tant qu’on préserve le lien et la confiance, sans se prétendre expert en la matière, la communication peut rester ouverte.»
Vanessa Prince constate aussi que la grande majorité des jeunes (91% selon Unisanté) sont informés en ce qui concerne ce type de produit et connaître leur existence. «Une mesure efficace pour protéger les jeunes est l’interdiction de publicité, comme le demande l’initiative 'Enfants sans tabac'», conclut-elle.
Pour plus d'informations et recevoir du soutien, n'hésitez pas à consulter les sites de Ciao.ch, de Stop-Tabac, d'Addiction Suisse ou encore onécoute.ch.