Une remarque sur un plateau de télévision, et les réseaux sociaux se consument en direct! En répondant au comédien Artus qu’il était «devenu chiant» en arrêtant de boire et de fumer, sur le plateau de son émission «Quelle époque!», Lea Salamé a rallumé la flamme… du combat pour une vie saine. Chiant: l’expression fait mal, même si l’animatrice l’a prononcé de façon aussi désinvolte que sympathique, avec un sourire. Peut-on, en France, espérer apparaître comme une personnalité conviviale, digne d’être invitée en soirée, si l’on ne boit pas et si l’on ne fume pas?
Ce qui aurait dû être seulement une vanne de plateau télévisé est en effet devenu en quelques jours l’objet d’un débat sociétal. «Dire que quand on ne consomme pas d’alcool on devient chiant, c’est très» a rugi sur la radio France Bleu l’hépatologue Pauline Guillouche, spécialiste des maladies du foie. Sur Instagram, cette professionnelle de la santé a dénoncé, justement, la désinvolture avec laquelle la question de l’addiction à l’alcool et à la cigarette (ou autres substances qui se fument) ont été traités lors de cette émission phare du service public.
L’alcoolisme est, en France, la cause de près de 40 000 décès par an. La loi française limite, depuis janvier 1991, les contenus des publicités en faveur des boissons alcooliques à leurs éléments dits «objectifs» (origine, description, mode de consommation, etc.). Un message sanitaire préventif «L’abus d’alcool est dangereux pour la santé» doit accompagner toute mention de produit alcoolique. Idem pour le tabac, dont «la propagande ou la publicité» sont interdites.
Chiants ou réalistes?
Alors, chiants ou réalistes pour leur santé et protecteur de la santé des autres, ceux qui stoppent la cigarette et l’apéro? Les réseaux ont plutôt pris le parti du comédien résolu à assainir son mode de vie. Sa réponse à Lea Salamé est même devenue virale. «C’est très français ça, dès qu’on dit qu’on arrête de boire, on devient chiant! Alors que, putain, c’est bien en fait de ne pas forcément boire de l’alcool» a-t-il rétorqué. Résultat? Une pluie de messages de soutien, y compris en provenance de téléspectateurs suisses. «Incroyable Léa Salamé.
Quelqu’un vous dit que pour diminuer ses angoisses il a arrêté de boire de l’alcool et de fumer, que ça a super bien marché et vous n’avez rien d’autre à dire» […]. Ou bien: «Ne pas boire ou fumer n’est ni une marque de faiblesse ni le signe d’une non-convivialité. C’est au contraire très respectable et gage d’une prise de conscience des risques de ces conduites pour la santé». Et encore: «Bravo à Artus, super démarche et conseils applicables à tous».
La question posée par ce déluge de réactions est double. 1) Est-ce normal que dans une émission du service public suivie en moyenne par 1,2 millions de téléspectateurs, une animatrice ridiculise l’abstinence revendiquée au nom de l’hygiène et de la santé? 2) Pourquoi assimiler la sobriété à l’ennui, alors que les plaisirs artificiels de l’alcool et du tabac sont aussi, on le sait, générateurs de tant de problèmes sociaux et de comportements «chiants»?
Dans Le Parisien, l’Association Addictions France poursuit la polémique en fin de semaine. «Pourquoi doit-on se justifier de ne pas boire d’alcool? Une séquence qui résume parfaitement la nécessité de continuer à œuvrer pour faire évoluer les représentations et débanaliser la consommation d’alcool en France. C’est la reprise d’un lieu commun. Or, on peut être drôle et faire la fête sans consommer de produits.»
Le pays du bon vin et des Gauloises
Et la France alors? N’est-elle pas le pays du bon vin et, jadis, celui des paquets de Gauloises ou de Gitanes, ces cigarettes de tabac brun qui enfumaient les bistrots et les lieux publics pendant des décennies? Et bien bon. Les mœurs changent. Depuis cinquante ans, les Français boivent de moins en moins d’alcool. Entre 1970 et 2020, la consommation d’alcool est ainsi passée de 21,6 à 11,6 litres par habitant et par an, selon l’Institut national de la statistique.
Dix litres de moins, même si cela doit être pondéré par l’augmentation de la consommation d’alcools forts par la jeunesse. Autre chiffre qui doit être médité, en provenance de la mission de lutte contre le tabagisme: près de 12 millions de Français continuent à fumer même si près de 6 fumeurs quotidiens sur 10 souhaitent arrêter. Avec des pics consommation élevés chez les personnes les moins diplômées et/ou au chômage… Ce qui en dit long sur le côté «chiant» des addictions…
Le sujet passionne en tout cas. Ce vendredi 3 mai à 19 heures, RTL y consacrera une partie de son émission «Ils refont la France», en partenariat avec l’hebdomadaire Courrier International, qui passe en revue la presse étrangère. Blick sera sur le plateau. Chiant ou pas chiant? Boire ou pas boire? Fumer ou pas fumer? Au pays de Serge Gainsbourg, auteur interprète de «Dieu fumeur de Havanes» aux côtés de l’actrice Catherine Deneuve, le débat va, sans doute, continuer de nous saouler.