Jessica Jaccoud a jeté un sacré pavé dans la mare en fin de semaine dernière. Mais sans le vouloir, assure la présidente du Parti socialiste vaudois. Vraiment? En signant une chronique acerbe dans Blick où elle tance l’action pénale du Procureur général Eric Cottier d’obédience libérale-radicale, la polémique était prévisible. Surtout en pleine campagne pour les élections cantonales de mars.
Mais qui s’attendait à ce que le Procureur général réplique dans la foulée en saisissant le Grand Conseil? Une démarche aussi inhabituelle qu’intrigante. Et le chef du Ministère public n’a pas non plus mâché ses mots dans sa prise de position. Il dénonce une menace sur l’indépendance de la justice, soulignant la séparation des pouvoirs prévue dans la Constitution. Sans surprise à nouveau, la femme forte du parti à la rose ne l’entend pas de cette oreille. Et le fait savoir sans détour. La fin de cette saga qui fleure bon le scandale institutionnel n’est pas encore à l’ordre du jour. Interview.
Avez-vous l’impression d’avoir brisé un tabou avec votre chronique?
(Elle réfléchit) J’ai en tout cas l’impression que le Procureur général a oublié qu’il peut faire l’objet de critiques. C’est ce qui m’a le plus frappé dans cette polémique. J’ai publié une chronique dans laquelle j’émets une opinion. Je critique ouvertement son action pénale et sa réaction a été pour le moins disproportionnée. À l’instar de celle de ses soutiens, tous issus des rangs de la droite.
Mais vous cherchiez à déclencher cette onde de choc, non?
Jamais, dans mes rêves les plus fous, je n'ai imaginé que le Procureur général puisse aussi bien réaliser un effet Streisand (l’effet Streisand est un phénomène qui se manifeste par la surdiffusion d’une information faisant l’objet d’une tentative de retrait ou de censure par une entreprise ou une personne, ndlr). S’il n’avait pas réagi à cette chronique, personne n’en aurait parlé.
Parlons franchement. Cette exposition tombe à point nommé pour votre parti, en pleine campagne pour les élections cantonales de mars.
Je ne souhaite à personne, vraiment personne, d’être pris dans la machine à laver comme j’ai pu l’être cette semaine. Mais, ce qui est effectivement positif et au-delà de toutes mes espérances, c’est que nous pouvons maintenant — et enfin — débattre publiquement du bilan d’Eric Cottier à la tête du Ministère public.
Ce débat est important. Mais n’avez-vous pas franchi la ligne rouge en vous attaquant à la justice?
Je n’ai, à aucun moment, attaqué la justice. Il faut rappeler que le Ministère public et le Procureur général ne sont pas la justice mais le parquet. Du reste, en allemand, procureur se dit: 'Staatsanwalt'. Ce qui signifie: l’avocat de l’Etat. Le Procureur n’est pas un juge et ne dit pas le droit. Dans ma chronique, je critique l’action pénale d’Eric Cottier et j’estime qu’il aurait dû révoquer les ordonnances pénales visant les zadistes du Mormont. Mais cette opinion ne s’adressait pas directement à lui. Les choses auraient été différentes si je lui avais écrit personnellement ou si j’avais saisi le Grand Conseil en demandant au Parlement d’ordonner à Eric Cottier une attitude à suivre. Ce que je n’ai bien évidemment pas fait.
Tout de même. N’est-ce pas un drôle de mélange des genres, quand une députée s’en prend à un Procureur général?
Chaque séparation de pouvoirs est accompagnée de contre-pouvoirs, qui sont absolument nécessaires à la bonne marche de la démocratie. Le Procureur général est élu par le Grand Conseil qui adopte aussi son rapport d’activité. Le Procureur général représente l’Etat dans l’action pénale et, quand j’ai été élue députée, j’ai notamment promis de me soucier de l’action publique de l’Etat. Je pense donc n’avoir jamais aussi bien fait mon travail de députée qu’en critiquant l’action pénale du Procureur général.
Mais attaquez-vous vraiment Eric Cottier sur son bilan? Ne visez-vous pas plutôt de manière détournée sa sensibilité PLR?
Je critique le Procureur général sur son bilan et sur le fait qu’il n’a, à mon sens, pas pris le virage du XXIe siècle sur un certain nombre de sujets. Critique que je peux parfois également utiliser à l’encontre du PLR.
Tant que le Procureur général ne sera pas de votre parti, son action ne sera jamais satisfaisante. C’est ça que vous dites?
Très honnêtement, je pourrais soutenir une candidature de droite si cette personne — en sa qualité de Procureur général — arrive avec un projet d’action pénale qui offre davantage de place à la prévention, au soutien aux victimes et aussi à la répression de la criminalité économique.
Il n’empêche que votre manière de faire interpelle. Peut-on vraiment donner tort au président du PLR Vaud Marc-Olivier Buffat, qui a estimé sur les ondes de la RTS que les réactions de la gauche à ce propos «sont dignes d’une république bananière»?
Je pense que Monsieur Buffat a une vision très erronée de la démocratie. Parce que les contre-pouvoirs sont précisément une garantie démocratique. C’est, au contraire, dans les régimes autocratiques que des parlementaires et des avocats finissent en prison quand ils ont l’audace de critiquer le pouvoir, les magistrats ou les procureurs. C’est par exemple le cas en Turquie. Selon moi, le fait qu’un député puisse émettre une opinion critique sur l’action du Procureur général est le signe que nous sommes dans une démocratie saine.
Votre comparaison est vertigineuse: personne n’ira en prison ici. Si on prend un peu de hauteur, on pourrait estimer que le Procureur général a uniquement joué la carte de la réponse du berger à la bergère.
Si c’était réellement son intention, il aurait pu me contacter personnellement. J’aurais apprécié d’avoir un échange avec lui. Il aurait aussi pu demander un droit de réponse à ma chronique. Je le répète: en saisissant le Grand Conseil, sa réaction était disproportionnée. Mais, au fond, elle a permis de mettre en avant le débat que je souhaitais porter sur la place publique.
Mais vous, l’aviez-vous contacté personnellement avant de le tacler?
Non. Je n’ai eu aucun contact avec le Procureur général. Mais cela n’est pas comparable. En tant que parlementaire, j’ai parfaitement le droit d’écrire une opinion qui n’engage d’ailleurs que moi. Le Procureur général, quant à lui, a choisi de réagir en engageant les institutions puisqu’il a saisi le Grand Conseil. On voit bien que nous ne sommes pas du tout sur le même plan ni sur le même style de réaction.