La justice vaudoise se ficherait-elle de l’antisémitisme? Telle est la thèse polémique soulevée par Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD). L’homme a bondi en lisant, cette semaine dans la presse, que l’affaire des graffitis haineux du gymnase de Morges s’était réglée «en catimini».
Rembobinons. En 2019, des tags nazis — dont l’inscription «Heil Hitler» — étaient retrouvés au sein de l’établissement, aux côtés d’inscriptions aux relents islamistes comme «L’islam vaincra» ou «Allahou Akbar» («Dieu est grand»). L’affaire, très émotionnelle, avait fait les choux gras de la presse et des réseaux sociaux. La réponse des autorités n'avait pas traîné, les auteurs étant identifiés et arrêtés en l'espace de quelques jours.
Depuis, silence radio. Jusqu’à ce que «24 heures» révèle que le dossier a été classé il y a de cela plusieurs mois. Tout a été réglé sans faire de vague: «On est plus dans ce qui relève de la bêtise d’un groupe de trois ou quatre jeunes qui à un moment donné de leur vie ont été inspirés par les murs de plusieurs bâtiments, comme ceux d’un centre commercial ou de leur gymnase, pour exprimer leur créativité, explique dans le quotidien Eric Cottier, procureur général du canton de Vaud. Nous avons classé l’affaire car il a été possible de conclure très rapidement au fait qu’il n’y avait aucune volonté de propager la doctrine nazie, pas plus qu’une autre d’ailleurs.»
Toujours selon nos confrères, «les auteurs des faits – et leurs familles – ont donc assumé les frais et le nettoyage, en plus de faire amende honorable». Des conséquences largement insuffisantes, s’étrangle Johanne Gurfinkiel.
«Deux affaires s’entrecroisent dans l’actualité, réagit auprès de Blick le secrétaire général de la CICAD. D’une part, on a l’affaire Alain Soral, qui traîne maintenant depuis des temps immémoriaux et maintenant celle de Morges. Dans les deux cas, nous sommes malheureusement confrontés à une décision regrettable du procureur général.» Pour mémoire, Alain Soral s’est installé à Lausanne en octobre 2019. «Non sans cacher – il l’a dit dans une vidéo – que ce domicile suisse lui permet d’échapper à la prison en France», écrit «24 heures».
Condamné à diverses reprises pour provocation ou incitation à la haine contre les juifs, l’essayiste est considéré comme un idéologue influent sur les réseaux sociaux d’extrême droite. La CICAD ainsi que la Ville de Lausanne ont réclamé une intervention de la justice vaudoise. Jusqu’ici sans succès.
Un «événement anodin»?
Revenons à l’affaire des tags haineux à Morges. Celle-ci avait beaucoup interpellé la CICAD, assure son secrétaire général. «Je ne lis aucune mesure pédagogique ou éducative qui ait été envisagée pour le ou les auteurs. L’impression que ce dossier a été traité comme s’il s’agissait d’un événement parfaitement anodin; une affaire classée sans suite. Tout ceci est bien regrettable. L’affaire du gymnase de Morges n’a rien d’anodin.»
Il rebondit, amer: «Nous n’avons pas été entendus par le Ministère public sur ce nouveau cas d’antisémitisme alors que nous sommes les premiers concernés quand il s’agit d’antisémitisme. Nous pensions pouvoir apporter une expertise sur ce sujet et notamment sur le volet éducatif. Je suis halluciné que la seule conséquence face à la dégradation d’un bâtiment scolaire et recouvert de graffitis antisémites, haineux, les auteurs ne soient soumis qu’à de simples frais de nettoyage. Comment peut-on se contenter de régler tout cela en catimini?»
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Le secrétaire général de la CICAD cible Eric Cottier. D’après lui, «l’inaction» du procureur général dans les deux dossiers qu’il mentionne relève du «déni de justice»: «Alain Soral répand ses thèses nauséabondes depuis Lausanne, capitale du canton de Vaud. Qu’on arrête d’expliquer que cela ne concerne pas la Suisse! Dans le cas de Morges, il est simpliste et dommageable de penser qu’il s’agit d’une bêtise comme une autre, il faut lancer une réflexion de fond. Je demande, une fois encore, à Eric Cottier de revoir ses positions. Cela n’est pas grave de faire une erreur, on a le droit de se tromper. Encore faut-il l’admettre et la réparer.»
Du «désintérêt» face à l'antisémitisme
Johanne Gurfinkiel continue sa charge. Il y va à la hache: «Quel est le message qu’envoie avec de telles prises de position le procureur général face à des cas d’antisémitisme, si ce n’est du désintérêt? Je ne pensais pas que nous en étions encore là au XXIe siècle et malgré nos appels à plus d’engagements. Cette situation est bien désolante.» La CICAD n’entend pour autant pas baisser les bras, poursuit-il: «Elle poursuivra son combat nécessaire face à l’antisémitisme, forte du soutien croissant de nos concitoyens. Il faudra bien qu'Eric Cottier entende ces appels.»
Confronté à ces différentes allégations, le procureur général étouffe la polémique et balaie les critiques d'un revers de main. «Je prends acte de la réaction de Monsieur Gurfinkiel. A ma connaissance, la CICAD s’est exprimée uniquement sur la base d’un article de presse, sans avoir entrepris les démarches qui lui auraient permis d’accéder à la décision. Elle critique ainsi celle-ci sans l’avoir lue. De plus, si Monsieur Gurfinkiel me contactait, ce qu’il n’a pas fait non plus, il lui serait répondu.» En voilà deux qui ne partiront pas en vacances ensemble.