Pour un congé parental vaudois
«Les gens n'auront plus besoin de choisir entre vie professionnelle et vie familiale»

Le Parti socialiste vaudois (PSV) lance ce vendredi une initiative cantonale. Soutenu par les Verts et différentes associations, le texte demande 34 semaines de congé parental. Mais qui va payer la facture? La présidente du PSV Jessica Jaccoud s'explique.
Publié: 14.01.2022 à 15:47 heures
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Dernière mise à jour: 14.01.2022 à 17:02 heures
Jessica Jaccoud, présidente du Parti socialiste vaudois, assure que les coûts du congé parental seraient «largement absorbables».
Photo: Keystone
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

En septembre 2020, les Vaudoises et les Vaudois ont plébiscité le congé paternité avec un score quasi soviétique: 81,6% de Oui. Le parti socialiste veut maintenant aller encore plus loin et lance ce vendredi son initiative cantonale «Pour un congé parental vaudois».

Le texte, soutenu par les Verts et de nombreuses associations (Familles arc-en-ciel et Männer.ch, notamment), fait sauter quelques plombages au centre et à droite. Il propose un total de 34 semaines de congé pour les parents: 16 pour les mères (+2 par rapport au congé maternité), 14 pour les pères (+12 par rapport au congé paternité) et quatre semaines supplémentaires à répartir entre les deux.

Lors d’une conférence de presse virtuelle — Covid oblige — rendue quelque peu baroque par des petits soucis techniques et l’insistance d’une organisation partenaire pour prendre la parole alors qu’elle n’était initialement pas conviée au micro, le message est clair.

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«Il y a une forte demande de la population pour un congé parental digne de ce nom. Nous devons l’entendre», tonne Jessica Jaccoud, présidente du parti à la rose. Mais qui va payer cette mesure onéreuse? À deux mois des élections cantonales, le timing de cette initiative n’est-il pas un peu opportuniste? Avec ses camarades et leurs alliés, Jessica Jaccoud a désormais jusqu’au 16 mai pour récolter 12’000 signatures. Et pour convaincre, celle qui est également députée n’esquive aucune question. Interview.

Lancer une initiative, c’est mieux qu’une campagne d’affichage pour briller aux élections cantonales?
L’idée de l’initiative pour un congé parental est née en septembre 2020. Cela fait donc une année et demie que nous travaillons dessus. Le processus a pris un peu plus de temps car, comme tout le monde, nous avons été ralentis par le Covid. Mais je ne vous cache pas que lancer une initiative pendant une campagne électorale, c’est aussi l’occasion d'offrir de la visibilité à une thématique. Et donc de mettre en avant une ligne très forte pour le parti socialiste vaudois qui est celle d’agir aujourd’hui concrètement pour une politique familiale égalitaire.

Comment cette ligne politique se traduit-elle dans votre initiative?
Notre texte souhaite mettre en œuvre dans le canton un congé parental de 34 semaines. Celui-ci se décompose ainsi: 16 semaines pour les femmes — cela correspond à deux semaines de plus que ce qu’elles ont actuellement avec le congé maternité —, 14 semaines pour les pères ou l’autre parent — soit 12 semaines de plus que le congé paternité — et quatre semaines à se répartir librement entre les deux parents.

Peut-on chiffrer le coût qu’aurait ce congé parental vaudois?
Oui, des estimations ont été faites. Notamment sur la base des coûts que nous connaissons très bien du congé maternité et de ceux qui ont été évalués pour le congé paternité. On estime, dans une fourchette haute, que le congé parental coûterait 136 millions de francs par an.

C’est un montant conséquent… Comment le financer?
Notre initiative prévoit un financement tripartite. Un tiers serait assumé par le ménage cantonal, le deuxième tiers par les cotisations sociales à charge des salariés et le dernier tiers par les employeurs. Nous avons par ailleurs indiqué dans notre projet de loi que ces fameuses cotisations ne devraient pas excéder 0,2% du salaire, ce qui nous permettrait de financer très largement cette initiative.

Ce pourcentage représente quoi, très concrètement?
Pour donner un exemple, 0,2%, c’est 14 francs par mois pour le salarié et pour l’employeur pour un salaire mensuel de 7000 francs. C’est un peu plus que le café de Pierre-Yves Maillard pour les prestations complémentaires cantonales pour les familles, mais c’est un montant qui reste tout de même largement absorbable. Il faut cependant aussi regarder ce que ce projet va rapporter financièrement. Se concentrer uniquement sur son coût brut serait regrettable.

Comment ça?
D’une part, on sait que la Suisse est très en retard sur les questions de politique familiale. On sait aussi que la Suisse est très très mal cotée sur la question de l’employabilité des femmes qui sont de plus en plus formées et qui ont de plus en plus envie de s’intégrer et de rester dans le marché du travail. Or, l’arrivée d’un enfant est toujours malheureusement pour elles une encouble importante. Cela les conduit soit à cesser complètement leur activité, soit à réduire de manière importante leur taux d’activité.

Donc si davantage de femmes travaillaient, cela suffirait à financer le congé parental?
Il suffirait de voir 1% des femmes en plus sur le marché du travail pour réussir à cotiser quasiment la moitié de notre congé parental. De par l’augmentation des recettes fiscales induites par cette nouvelle activité et de par l’augmentation des cotisations dont je parlais précédemment. Il y a d’autres bénéfices importants. D’abord, la conciliation entre vie privée et vie professionnelle: les gens n’auront plus besoin de choisir. C’est d’ailleurs la revendication d’une nouvelle génération qui ne va plus consacrer sa vie à un seul emploi jusqu’à l’âge de la retraite, âge qui reste d’ailleurs assez incertain. Et puis, l’autre enjeu essentiel est le partage plus équitable des tâches éducatives et du travail domestique, qui est un travail non rémunéré. Tout en permettant de tisser des liens avec l’enfant dès son arrivée. Ce qui n’est pas la moindre des choses.

«La Confédération porte un honteux bonnet d’âne»

Certains classements sont plus désagréables que d’autres. «Avec l’un des services de garde d’enfants les moins abordables, et un congé parental inexistant, la Confédération porte un honteux bonnet d’âne», écrit «Le Temps», en s’appuyant sur un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) daté du 18 juin dernier.

Dans cette étude qui départage les 41 pays de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et de l’Union européenne (UE), plusieurs pays sont salués. Le Luxembourg, l’Islande, la Suède, la Norvège et l’Allemagne obtiennent les meilleurs résultats. La Suisse, la Slovaquie, les Etats-Unis, Chypre et l’Australie sont, quant à eux, les lanternes rouges du classement.

Accueil extra-familial trop cher

Comment l’expliquer? Toujours selon ce rapport, un couple disposant d’un revenu moyen doit dépenser en Irlande, en Nouvelle-Zélande et en Suisse entre le tiers et la moitié d’un salaire pour payer l’accueil extra-familial de deux enfants. «La pandémie a mis en évidence l’importance de l’accueil extra-familial des enfants, note dans un communiqué de presse Bettina Junker, directrice générale d’UNICEF Suisse et Liechtenstein. Les structures d’accueil doivent être de haute qualité, à un prix abordable et facilement accessibles.»

Elle rebondit: «Il n’est pas acceptable que la Suisse, l’un des pays les plus riches du monde, n’en fasse pas assez pour l’accueil extra-familial des enfants. La politique doit prendre un tournant en la matière. Les services proposés doivent avoir un prix abordable pour chaque parent, indépendamment du revenu et du lieu de domicile.»

Les pays qui obtiennent les meilleurs résultats dans la comparaison internationale investissent à la fois dans la qualité et le bas prix des structures d’accueil. En même temps, les mères comme les pères ont droit à un congé parental payé d’une plus longue durée.

Certains classements sont plus désagréables que d’autres. «Avec l’un des services de garde d’enfants les moins abordables, et un congé parental inexistant, la Confédération porte un honteux bonnet d’âne», écrit «Le Temps», en s’appuyant sur un rapport du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) daté du 18 juin dernier.

Dans cette étude qui départage les 41 pays de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et de l’Union européenne (UE), plusieurs pays sont salués. Le Luxembourg, l’Islande, la Suède, la Norvège et l’Allemagne obtiennent les meilleurs résultats. La Suisse, la Slovaquie, les Etats-Unis, Chypre et l’Australie sont, quant à eux, les lanternes rouges du classement.

Accueil extra-familial trop cher

Comment l’expliquer? Toujours selon ce rapport, un couple disposant d’un revenu moyen doit dépenser en Irlande, en Nouvelle-Zélande et en Suisse entre le tiers et la moitié d’un salaire pour payer l’accueil extra-familial de deux enfants. «La pandémie a mis en évidence l’importance de l’accueil extra-familial des enfants, note dans un communiqué de presse Bettina Junker, directrice générale d’UNICEF Suisse et Liechtenstein. Les structures d’accueil doivent être de haute qualité, à un prix abordable et facilement accessibles.»

Elle rebondit: «Il n’est pas acceptable que la Suisse, l’un des pays les plus riches du monde, n’en fasse pas assez pour l’accueil extra-familial des enfants. La politique doit prendre un tournant en la matière. Les services proposés doivent avoir un prix abordable pour chaque parent, indépendamment du revenu et du lieu de domicile.»

Les pays qui obtiennent les meilleurs résultats dans la comparaison internationale investissent à la fois dans la qualité et le bas prix des structures d’accueil. En même temps, les mères comme les pères ont droit à un congé parental payé d’une plus longue durée.

Revenons-en au financement de votre mesure. La participation de l’Etat se ferait via la facture sociale. Or, tout le monde connaît la situation des communes vaudoises qui tirent déjà la langue. Vous n’avez pas peur de surcharger la barque?
L’initiative n’en est qu’au stade de la récolte. Nous espérons bien évidemment qu’elle aboutisse. Mais, le temps qu’elle passe par le Conseil d’Etat qui peut lui opposer un contre-projet et par le Parlement qui peut pousser pour une éventuelle votation, je peux espérer que la question de la péréquation de la facture sociale sera réglée d’ici à l’entrée en vigueur du texte.

D’autre part, nous ne pouvons pas nous limiter à réfléchir à la progression de nos sociétés avec pour seul prisme la question de nos finances communales, aussi importante soit-elle. Nous avons un appel très fort de la population et nous devons l’entendre. Et puis, dernier point à l’attention des communes: ce congé parental retardera de quelques semaines l’entrée de certains enfants dans les structures d’accueil de jour puisque les parents auront plus de temps à leur consacrer. Les communes participent au financement de ces places d’accueil de jour et elles pourront donc avoir une baisse sensible de leurs charges par le basculement sur le congé parental.

Cette diminution des besoins dont vous parlez signifie-t-elle qu’il faut s’attendre à des pertes d’emplois dans le secteur de l’accueil de jour?
Non, au contraire. Comme le congé parental permettra une meilleure employabilité des femmes, de favoriser leur retour et leur maintien sur le marché du travail, nous sommes persuadés que le besoin d’accueil préscolaire augmentera puisque la question de la diminution du taux d’activité ne se posera peut-être plus. Les structures d’accueil devront donc toujours exister et seront d’autant plus nécessaires pour accompagner cette conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

Concernant votre modus operandi: est-il vraiment souhaitable que chaque canton avance à sa sauce? Ne craignez-vous pas la cacophonie?
Vous savez, on disait la même chose du congé maternité. Et il faut juste se rappeler que, dans ce pays, les choses se font rarement avec une Confédération ambitieuse et progressiste sur les questions sociales. L’impulsion doit venir des cantons, c’est ainsi que fonctionne le fédéralisme. Nous n’allons pas attendre que la Berne fédérale trouve un énième consensus sur ce sujet qui est, il faut le dire, assez complexe. Mais si demain, une initiative fédérale ou une solution à l'échelle nationale devait voir le jour, bien évidemment que nous la privilégierons. Pour autant qu’elle soit aussi ambitieuse que la nôtre et qu’elle permette à toutes les constellations familiales d’être prises en charge. Je parle notamment des familles arc-en-ciel qui ne doivent plus être laissées de côté des politiques familiales.

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